Rupture du contrat de confiance avec la police...

En soutien à Théo, victime d'un viol présumé avec une matraque lors d'une interpellation qualifiée de "musclée", plusieurs rassemblements. Ont eu lieu. Cependant, revenons sur celui du vendredi 11 février, place Carrée, à 18 h à Châtelet-Les-Halles….

Les premières questions se posent lorsqu'en traversant le boulevard Sébastopol à 17h30, on peut constater que plus d'une cinquantaine de camion de CRS sont garés. Phénomène plus qu'inexpliqué lorsqu'en se dirigeant vers le forum des Halles, on peut croiser tous les dix mètres des groupes de plusieurs CRS et de policiers de la BAC (brigade anti criminalité) et lorsque l'accès au forum lui-même est en passe de devenir impossible.

Bien évidemment, ceux qui en ignorent les causes se renseignent et finissent par découvrir que ce déploiement digne d'une attaque terroriste est uniquement dû à un rassemblement d'une cinquantaine de personnes en soutien au jeune Théo, victime quelques jours plus tôt, d'un viol présumé lors d'un contrôle d'identité qui a dégénéré. Accident qualifié d'accidentel par l'IGPN (la police des polices) qui ne retient que "le caractère non intentionnel" du geste commis par le policier… 

L'arrivée place Carrée n'est pas simple. À chaque étage, on croise les CRS et la BAC et certaines sorties de métro sont déjà bloquées. La tension est palpable de toutes parts. Certains magasins fermeront dès 18 heures suivis par la totalité du centre commercial. Les lieux sont déjà investis par les RG (renseignements généraux) en faction et n'hésitant pas à photographier toute personne susceptible de participer au rassemblement. Un grand nombre de journalistes sont également présents, aussi nombreux que les manifestants ! Progressivement la place se remplit : badauds, journalistes, BAC, CRS, manifestants et la tension au sein des forces de police monte encore d'un cran.

Puis apparaissent les banderoles : "Face à l'impunité policière, soyons ingouvernables !", "Hier on noyait les Algériens, on tue toujours dans les cités, la solidarité est notre seule arme". Les slogans fusent au rythme des percussions : "Zyed, Bouna, Théo et Adama, on n'oublie pas, on ne pardonne pas !", "Flics, violeurs, assassins !"

La riposte est quasi instantanée. Les CRS encerclent la place, coupant ainsi tout accès vers l'extérieur. Quelques badauds faisant leurs courses ou ayant prévu d'aller au cinéma tentent de quitter les lieux mais en vain. Les forces de police bloquent toutes les issues : escaliers, escalators, sorties vers les métros ou vers le centre commercial. Le rassemblement est scindé en plusieurs groupes, tous maîtrisés de façon plus que musclée, et l'on sent que les CRS sont dans l'attente du moindre dérapage… Seulement, les manifestants, tous très jeunes, ne font preuve d'aucune violence et se font molester dès qu'ils tentent de se déplacer. Et le débordement a lieu mais à l'initiative des CRS qui soudainement tentent de déchirer les banderoles et sortent les matraques dans l'attente, en vain, du moindre geste agressif. Les manifestants protègent les banderoles et les forces de police utilisent alors à plusieurs reprises les gaz lacrymogènes alors que rien ne le justifiait.

En quelques minutes, bien que quelques personnes aient réussi à s'échapper, la foule est prise en tenaille et retranchée dans un coin exigu de la place. Une nasse va alors se former durant plusieurs heures. Journalistes, manifestants et passants d'un soir se côtoient dans le plus grand calme sous l'œil vigilant de la BAC et des RG qui n'ont pas quittés leur promontoire depuis 17h30…
Puis tel un signal de départ, lorsqu'ils quittent enfin les lieux, s'amorce un semblant de libération qui prendra un temps plus que conséquent. Possibilité de quitter les quelques mètres carrés de cantonnement sur présentation d'une pièce d'identité. Cordon de sécurité magistralement formés par des CRS, la police nationale et des agents de sécurité de la RATP. Halte tous les 10 mètres afin de ne pas provoquer de mouvement de foule intempestif, sous les yeux ahuris des usagers des transports parisiens, eux-aussi retranchés derrière un cordon de sécurité… N'oublions pas la sacro sainte photographie des dites pièces d'identité puis escorte policière tout à fait arbitraire jusqu'au métro de la ligne 4, direction Mairie de Montrouge où l'on s'assure que personne n'ait de velléité de rester sur le quai et de ne pas monter dans la rame… L'ambiance générale est plutôt morose, chacun cherchant en vain des explications aux moments qu'il vient de vivre mais pour certain malgré tout, l'hilarité l'emporte face au ridicule de la situation.

Au delà des faits, est-il utile de rappeler que le droit de manifestation est inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et à l'article 11 de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Comment interpréter alors les événements de vendredi soir ? Était-il réellement utile de déployer une force d'intervention d'une telle envergure face à une centaine de personnes et pour moitié seulement de manifestants ? Que dire de la présence disproportionnée des CRS, de la BAC et des RG face à un rassemblement somme toute violent dans ses propos mais aucunement dans ses actes ?

Certains argueront du fait que le pays est déclaré en état d'urgence suite aux attentats terroristes mais, fort heureusement, celui-ci ne donne aucune impunité aux forces de l'ordre.
Faut-il également rappeler que la police ne peut faire usage de la force qu'après les trois sommations d'usage lorsqu'elle n'est confronté à aucune violence ou sans sommation lorsque "des violences ou voies de fait" sont exercées par les manifestants… Aucune violence de la foule n'a pu être déplorée ce soir-là et pourtant aucune sommation n'a été entendue.
Et beaucoup plus grave : ne semblait-il pas que depuis l'affaire de la station de métro Charonne en février 1962 lors de la manifestation contre l'OAS et la guerre d'Algérie, où huit personnes ont trouvé la mort dans l'accès à la bouche de métro suite aux violences policières, les forces de l'ordre n'ont plus le droit de bloquer des manifestants dans des escaliers… Ce fut malheureusement le cas vendredi et si aucun accident n'est à déplorer, c'est uniquement parce que le rassemblement est resté statique…

Effectivement il faut déplorer les débordements qui ont eu lieu depuis. Mais encore une fois ne faisons pas d'amalgame entre manifestants et casseurs. Et le problème de fond reste incommensurablement plus dramatique.

En effet, parce que la légitimité de la police et son efficacité ne peuvent être possibles sans la confiance des citoyens, parce qu'elle en est une condition non négociable, il devient urgent de rétablir ce contrat de confiance qui se réduit au fil du temps telle une peau de chagrin…
Mais si l'on considère que les rapports entre les forces de l'ordre et la population sont un indice de la qualité des relations entre les dirigeants et le peuple, et qu'elles ne sont que la résurgence de problématiques sociétales beaucoup plus graves, on ne peut effectivement qu'augurer du pire pour notre institution…

B.T.
Dogan Presse


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