Référendum en Turquie : le ‘oui’ obtenu après manipulation des résultats
Dimanche 16 avril a eu lieu un référendum en Turquie afin de voter pour une révision constitutionnelle permettant au président en place, Recep Tayyip ErdoÄŸan, d’obtenir le renforcement de ses pouvoirs. Selon le YSK (Haut conseil électoral), le taux de participation était de 85 % et l’agence de presse progouvernementale Anadolu a annoncé 51,37 % de « oui ». Mais les deux principaux partis de l’opposition remettent en cause les résultats.
Le référendum a donc validé la réforme constitutionnelle qui accorde au président turc le renforcement de ses pouvoirs. Il pourra entre autre abolir le poste de Premier ministre, nommer et révoquer ses ministres, promulguer des décrets, déclarer l’État d’urgence ou encore nommer certains membres du Conseil supérieur des juges et des procureurs. Ces mesures ont « été présentées comme incontournables pour assurer la stabilité du pays face aux défis sécuritaires et économiques ». ErdoÄŸan pourra en théorie diriger le pays jusqu'en 2029.
Une victoire sans surprise mais contestable
Alors que les résultats n’étaient pas encore officiels, le président salue une « décision historique » avec seulement 51,37 % des voix ! Nous sommes loin des 60 % de « oui » qu’il avait espérés et face à un pays divisé en deux…
Mais le CHP (Parti républicain du peuple) et le HDP (Parti démocratique des peuples, prokurde), les deux principaux partis d'opposition, ont dénoncé des « manipulations » au cours du référendum et ont déposé hier un recours auprès du Haut Conseil électoral turc (YSK) pour demander l’annulation du scrutin. Et dans un communiqué de presse, le CHP conteste officiellement et ne reconnaît pas les résultats des élections. Ceci est dû à une mesure annoncée à la dernière minute par le YSK considérant comme valides les bulletins ne comportant pas le tampon officiel du bureau de vote « à moins qu'il y ait des preuves qu'ils aient été apportés de l'extérieur ». Et à cela s’ajoute le fait que plus d’un million et demi de votes « blancs » auraient été tamponnés après l’ouverture des urnes. Mesure confirmée par le responsable du YSK lui-même, admettant qu’il n’aurait pas eu le choix… Et n’oublions pas que 800 000 bulletins ont été également déclarés non valides par le YSK. Au total, presque trois millions de bulletins seraient concernés par la fraude. Les malversations qui ont été filmées et largement diffusées sur les réseaux sociaux dès dimanche soir. De quoi remettre fortement en cause les résultats annoncés par le pouvoir en place...
Cette anomalie est également confirmée par les observateurs internationaux, mandatés par l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) et le Conseil de l’Europe qui mentionnent dans leur rapport que « des modifications tardives dans la procédure de comptage (des voix) ont supprimé un important garde-fou ».
Le « non » l’emporte dans les grandes villes
Dans les trois principales villes de Turquie, Ankara, İstanbul et İzmir, le « non » l’a emporté ainsi dans les villes plus peuplées comme Adana, Antalya, Denizli et Mersin. Les régions du sud-est, peuplées en majorité de Kurdes, ont également massivement voté contre le renforcement des pouvoirs du président. Le « non » arrive aussi largement en tête avec 67,6 % des suffrages, à Diyarbakir, la « capitale » des Kurdes de Turquie, qui représente un cinquième de la population. Et la région de Dersim, qui a toujours défendu les valeurs de l’Humanité, et soutenu le peuple Arménien lors de son génocide, a voté « non » à presque 80 %. Et malgré les massacres et destructions massives subis par la communauté kurde depuis plus d’un an déjà, nombre d’entre eux n’ont pas hésité à utiliser le bulletin « non ».
L’Europe souhaite un consensus
Face à cette situation, l’Union Européenne souhaite que le gouvernement turc recherche un consensus et puisse « envisager les prochaines étapes avec prudence ». La diaspora turque résidant en Europe a massivement voté « oui » (62 % des suffrages en France et 65 % en Allemagne). Ce qui peut s’expliquer aussi par le fait que dans les États de l’Union Européenne, se trouvent des sympathisants du régime turc en place qui touchent des fonds leurs permettant de financer des ONG pro ErdoÄŸan comme le Conseil pour la Justice, l’Égalité et la Paix (Cojep) ou Union Européenne des Turcs Démocrates (UETD)
Et il faudrait que dans certains pays comme l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique et les Pays-Bas, les partis de Droite arrêtent de profiter de la situation pour sombrer dans l’amalgame en tenant des propos nationalistes et racistes. N’oublions pas que des ressortissants turcs de ces pays sont prisonniers politiques pour avoir lutté contre la politique de Recep Tayyip ErdoÄŸan et contre la répression du peuple turc et Kurde.
On peut donc comprendre que la situation soit très inconfortable pour l’Union Européenne qui prône la plus grande prudence face aux événements à venir mais entretient des relations plus qu’étroites avec la Turquie, tant au niveau politique, qu’économique… Cependant, l’Europe qui défend l’Humanité et les Droits de l’Homme se doit de réagir...
Peut-on encore parler de Démocratie ?
Hier des manifestations ont eu lieu à Istanbul pour contester les résultats du référendum et la police est intervenue sur ordre du gouvernement en place. C’est la réponse du président ErdoÄŸan à son peuple ainsi qu’au CHP... Les personnes arrêtées ont été emmenées au commissariat de Vatan (centre connu pour pratiquer la torture et où des décès suite à ces pratiques sont à déplorer). Sous le prétexte de l’état d’urgence, durant leur garde à vue, elles n’ont pas eu le droit de contacter un avocat, ni leur famille.
Parallèlement à cela, des milliers de personnes sont allées hier au commissariat pour contester le résultat du référendum et s’opposer à la décision du YSK. Aucune opposition n’a été acceptée...
Dans une dizaine de villes de Turquie, des manifestations ont eu lieu et à partir de vendredi, certaines seront organisées également en Europe.
L’État se sert de l’état d’urgence pour justifier des répressions en interdisant la liberté d’expression. Avec ce qu’il se passe aujourd’hui en Turquie, le régime d’ErdoÄŸan ne peut plus affirmer qu’il est là pour apporter la Démocratie. Il faudrait que le président turc respecte les Droits de l’Homme et stoppe les représailles contre son peuple.
Au surlendemain de ce référendum, comment pouvons-nous déjà analyser les répercutions que cela va entraîner ? Tout d’abord, sur un plan très personnel, cela va permettre au président en place de protéger certains membres de sa famille des conséquences de malversations financières puisque dorénavant ils bénéficieront de la protection de l’État... Sur un plan plus général, nous nous dirigeons droit vers une dérive autoritaire du chef de l’État. Le Conseil national de sécurité turc, présidé par ErdoÄŸan lui-même, a déjà indiqué lundi soir que l'état d'urgence, en vigueur depuis le coup d'État avorté le 15 juillet 2016, était prolongé pendant trois mois. On pouvait également craindre suite aux vagues massives de purges qui ont déjà eu lieu et alors que le président turc vient d’obtenir presque tous les pouvoirs une envolée d’autoritarisme et d’oppression. Or celle-ci a déjà commencé. Et il est certain que les répressions contre les minorités, les opposants au pouvoir, tous ceux qui seront susceptibles d’avoir voté « non », les ouvriers, les étudiants, les démocrates et la presse vont prendre une ampleur dramatique. Les parlementaires et les avocats sont déjà en prison, les professeurs contraints à l’exil. Les journalistes, quant à eux, risquent leur vie dès lors qu’ils refusent de diffuser les « fake news » (fausses informations) en provenance du régime en place. Et n’oublions pas l’obsession d’ErdoÄŸan concernant les populations kurdes qui depuis un an se font éradiquer, entre autres par ses milices, les moudjahidines Osmanli. Ces brigades spéciales intervenant contre toutes les alternatives au régime en place représentent d‘ailleurs un réel danger pour la France et l’Allemagne et l’Europe où elles sont en train de gagner des militants.
Avec son référendum, le président ErdoÄŸan a tenté de promettre la démocratie à son peuple et le respect des Droits de l’Homme à l’Europe. Mais les perquisitions et les arrestations qui ont déjà eu lieu depuis dimanche démentent totalement ce fait. La victoire du « oui », aussi faible soit-elle, a entraîné la destruction de la démocratie et la Turquie va devenir un pays où le mot Liberté n’est déjà plus qu’un concept et où l’Islam deviendra incompatible avec les Droits de l’Homme. Et pourtant il faut continuer à lutter contre le régime en place car dire « non » à la dictature d’ErdoÄŸan n’est pas un crime...
Dogan Duzgun
Dogan Presse Agence