Soixante-neuvième jour de résistance Í Dersim
Stigmatisée par le pouvoir étatique turc comme « sanctuaire du féodalisme et du banditisme » dans les années 1930 puis « foyer d’agitation révolutionnaire communiste » et enfin, actuellement, « bastion du terrorisme kurde », la région de Dersim a de tous temps été source de répressions massives qui perdurent encore aujourd’hui. De part leur identité collective et spécifique, les Dersimis se sont vus affublés de divers qualificatifs plus ou moins fondés. Mais ce qui est certain, c’est que rien ne leur a jamais fait perdre cette qualité intrinsèque qui les caractérise, leur capacité de résistance, comme le démontre l’histoire de ce père de famille en grève de la faim depuis maintenant 69 jours…
Dersim ! C’est le nom d’une ville et d’une province turques situées en Anatolie orientale. C’est l’histoire de montagnes « refuges » que l’imaginaire persistant associe à la dissidence, à la résistance et à la révolte. Région kurde, région alévie, région rebelle ! Elle a souvent été contrainte de revendiquer son autonomie vis-à-vis des pouvoirs politiques qui se sont succédés. Par exemple, lors du génocide Arménien en 1915, lorsque de nombreux Alévis ont sauvé les Arméniens en les cachant et en les protégeant. Mais c’est la négation de l’identité ethnique des kurdes par l’État turc qui est à l’origine de cette guerre qui perdure sous des formes diverses depuis les débuts de la République. Et entre 1936 et 1938, presque 50 000 kurdes perdront la vie lors de ce qu’on appelle le massacre de Dersim que les Dersimis qualifient volontiers de « jenosid ».
Et aujourd’hui, c’est l’histoire d’une famille victime, comme tant d’autres de cette région, des représailles du gouvernement en place. C’est l’histoire de deux frères, Cayan et Murat Gün, deux guérilleros du DHKC (Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple), assassinés par l’armée de l’AKP (Parti de la justice et du développement) actuellement au pouvoir. Le 7 novembre 2016, suite à des bombardements de l’armée, onze guérilleros, dont Murat Gün, sont morts calcinés par les incendies provoqués lors de ces attaques aériennes.
Et c’est maintenant l’histoire de familles qui se battent pour retrouver les corps de leur défunts afin de pouvoir les enterrer dans le respect de leurs coutumes. Des actions ont été organisées place de Seyit Riza à Dersim. Et les avocats tentent par tous les moyens juridiques possibles de permettre l’ouverture de la fosse contenant les restes des victimes.
Alors c’est également l’histoire d’un père, du père de Cayan et Murat, Kemal Gün, 70 ans, qui a entamé une grève de la faim depuis le 24 février, afin qu’on lui permette de d’enterrer son enfant. Il résiste contre la faim, il résiste contre l’oppression quotidienne de l’AKP, pour son fils et pour ceux des toutes les autres familles.
Face à cette résistance, le préfet a lancé des recherches et chacun est parti sur les lieux pour retrouver quelques « restes » des corps calcinés. Une des victimes, Bunyamin Kilic, le plus jeune des guérilleros, a pu être identifiée et enterrée dignement par sa famille dans leur village à Silvan.
Kemal Gün en est aujourd’hui à son 69eme jour de grève de la faim pour que tous les ossements puissent être analysés et restitués aux familles. Il résiste pour pouvoir enterrer son fils décemment. Et beaucoup sont là pour le soutenir. Les jeunes à qui il entretient le devoir de Mémoire comme il l’avait préalablement fait avec ses enfants, Cayan et Murat. De nombreuses personnes se déplacent pour le voir également : des journalistes, l’avocat, le professeur Kerim, académicien à l’université de Munzur, le médecin… Et ces visites permettent aux journées de défiler dans une relative sérénité.
Kemal Gün, c’est l’histoire de milliers de familles, c’est l’histoire d’une région qui résiste depuis des décennies. C’est l’histoire de ce que certains qualifient de « minorités nationales » mais qui revendiquent leurs droits fondamentaux que sont leur identité et leurs appartenances.
C’est l’histoire de l’Humanité qui se décime parce qu’elle a oublié les fondements même de ce qui la caractérise : la tolérance face à l’unicité de chacun. E c’est dans l’acceptation de ses différences qu’elle pourra survivre. Alors soutenons avec force celles et ceux qui, comme Kemal Gün, se battent, luttent et résistent aux oppressions quelles qu’elles soient… Luttons pour pouvoir continuer à écrire l’Histoire !
Si vous aussi, vous souhaitez soutenir Kemal Gun, vous pouvez le contacter au : 0090 5530886072
Béatrice Taupin
Dogan Presse Agence