‘Nous avons faim de justice’

Selahattin DemirtaÅŸ, coprésident du HDP (Parti démocrate des peuples pro kurdes), a tenté de dissuader Nuriye Gülmen et Semih Özakça de continuer leur grève de la faim, entamée il y a 112 jours.


Accusé d'appartenir ou de soutenir le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) qui se trouve sur la liste des organisations terroristes, le parquet turc a requis pour Selahattin DemirtaÅŸ une peine de prison pouvant aller jusqu'à 142 ans. De la cellule où il est incarcéré, il a écrit une lettre à Nuriye Gülmen et Semih Özakça afin de les inciter à arrêter la grève de la faim qu’ils ont débutée il y a 112 jours aujourd’hui.

Il n’a pas réfuté l’utilité de leur résistance, ni l’importance de leur opposition face aux multiples vagues de répressions qui sévissent dans le pays. Il a déclaré dans sa lettre : « Il y va de votre libre arbitre de commencer et de mettre fin à la grève de la faim. Néanmoins, en tant qu'homme politique représentant la volonté de millions de personnes, je vous demande de mettre un terme à la grève de la faim ».

Or Selahattin DemirtaÅŸ n’a aucun pouvoir sur leur décision. Et les familles étaient déjà intervenues en demandant de ne pas lancer d’appel en leurs noms afin de leur demander de stopper leur résistance.

Mourir pour survivre

Nuriye Gülmen, chercheure à l’Université de Selçuk, et Semih Özakça, instituteur à l’école primaire Cumhuriyet de MazdaÄŸ à Mardin sont des victimes des purges politiques menées par le gouvernement turc. Semih a été limogé par le décret n° 675 du 29 septembre 2016 et Nuriye, quant à elle, a vu son nom apparaître dans le décret n° 679 paru au Journal Officiel le 6 janvier 2017. Depuis le 11 mars, ils ont entamé une grève de la faim, ne s’alimentant que d’eau sucrée ou salée. Mais à plusieurs reprises, leur espace de résistance, devant la statue des Droits de l’Homme de l’avenue Yüksel de la capitale turque Ankara, a été évacuée par les forces de police et ils ont eux-mêmes été placés en détention provisoire puis relâchés à plusieurs reprises.

Cependant, le 23 mai dernier, lors d’un raid nocturne extrêmement violent, ils ont été placés en garde à vue par la « lutte anti-terroriste », le mandat de perquisition émis par le procureur stipulant : « Ils pensent créer un nouveau Gezi (révolte de 2013) ou un nouveau Tekel (mouvement sociale de 2009) ».

Finalement accusés d'être « membre d'une organisation terroriste », le DHKP-C (Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple), de « poursuivre ces activités au nom de cette organisation », de faire de la « propagande pour l’organisation » via leur publications sur les réseaux sociaux et enfin de « continuer leur activité avec insistance, malgré l’ouverture d’une enquête » sur ces accusation, ils sont emprisonnés le 24 mai et les procureurs ont requis à leur encontre une peine pouvant aller jusqu’à 20 ans de prison.

Depuis leur état de santé s’est gravement détérioré. Ils souffrent de troubles de la perception, sont désormais dans l’incapacité de marcher ou de parler et les battements de leurs coeurs ont dangereusement ralentis : leurs jours sont comptés.

Et pourtant, ils ont fait le choix de se battre pour la justice au péril de leur vie. Mais c’est leur choix. Et le choix de tous devrait être de tenter de mettre fin à leur agonie en luttant pour que leurs revendications soient acceptées et qu’ils puissent réintégrer leurs postes au sein de l’éducation nationale. Car ils sont en train de mourir pour pouvoir continuer à exercer leur profession, pour lutter contre les vagues de licenciement, contre l’état d’urgence et contre la répression. Mais cette lutte à mort est aussi due au silence médiatique des pays Européens qui, au mépris du respect de la Convention des Droit de l’Homme, a opté pour la négociation avec le gouvernement turc en place. Or certaines valeurs ne se bradent pas, ne se négocient pas : la justice, la dignité et l’honneur en font partie.

Béatrice Taupin
Dogan Presse


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