Srebrenica : 'On a retrouvé trois ossements de mon fils, j'ai pu l'inhumer'

Les forces serbes de Bosnie ont massacré les habitants de Srebrenica le 11 juillet 1995. Une survivante qui a perdu 56 membres de sa famille se souvient.

Il y a 22 ans, les troupes bosno-serbes s'emparaient de Srebrenica, enclave bosniaque à l'époque situé dans l'est de la Bosnie et déclarée "zone protégée de l'ONU", sous les yeux de casques bleus néerlandais restés passifs. Plus de 8 000 garçons et hommes Bosniaques musulmans ont été tués en trois jours lors de ce massacre qualifié de génocide par la justice internationale. La ville bosnienne, située dans l'entité serbe de Bosnie depuis la division du pays sur des bases ethniques, s'apprête à commémorer ses morts sous haute tension. Kada Hotic, 73 ans, raconte.

"La vie avait été simple et belle avant que 56 membres de ma famille ne soient tués. Quand la guerre a commencé en 1992, j'étais couturière, j'avais la cinquantaine, un mari, deux enfants, des frères, des neveux, des oncles. J'étais quelqu'un dans ma petite ville de Srebrenica. Aujourd'hui, je suis installée à Sarajevo, perdue dans la masse. Mais tant qu'il me restera un peu de raison et tant que mes jambes me porteront, j'y retournerai, à Srebrenica.

Les corps des disparus broyés, jamais retrouvés entiers
Avant-hier j'ai accompagné le convoi de 71 cercueils parti de la région de Sarajevo, où les dépouilles ont été préparées pour l'inhumation, en direction de Srebrenica. Ces restes des victimes du génocide qui viennent d'être identifiées trouveront la paix au mémorial de Potocari le jour de la commémoration. Moi-même, j'ai retrouvé des restes de mon mari en 2003, et ceux de mon fils dix ans plus tard. Ces disparitions m'ont obsédée. J'en faisais des insomnies à me demander comment ils avaient été tués. Egorgés, peut-être ? Leurs corps avaient-ils été déchiquetés par des animaux ou emportés par la rivière ?

Quand des os ont été retrouvés, je me suis sentie apaisée. Lorsque j'ai retrouvé trois ossements de la jambe de mon fils fusillé à 29 ans alors qu'il fuyait blessé, je l'ai su plus tard, et que les tests ADN ont prouvé qu'il s'agit bien de mon enfant, j'ai inhumé Samir sans attendre. Car on ne nous rend jamais les corps complets.

S'ils avaient pu, ils auraient coupé l'air que nous respirions
Bien sûr tout a été fait pour dissimuler le crime. Ils creusaient ces tombes avec des bulldozers, ils broyaient les os et les mélangeaient pour les déplacer d'un charnier à l'autre. Le corps d'une seule personne est retrouvé en général dans une dizaine de charniers différents. Ici une main, là un morceau de jambe, ailleurs une partie du torse.

Si hier tout était fait pour dissimuler le crime, aujourd'hui les négationnistes ne reculent devant rien. Nous refusons que Mladen Grujicic [un nationaliste serbe élu maire de Srebrenica en octobre 2016] assiste à la commémoration car il nous insulte en niant le génocide. Il y a quelques jours, la ville devait accueillir une conférencière négationniste, (Ljiljana Bulatovic, la biographe en personne de Ratko Mladic, l'ancien chef militaire des Serbes de Bosnie). La conférence a finalement été annulée. Au dernier moment, la manifestation à Banja Lukaen faveur de Mladic, le bourreau de Srebrenica, a aussi été supprimée. Mais la vérité est plus forte que tout. Les tombes blanches alignées à Potocari en témoignent.

Ces tombes blanches de nos disparus qui ont connu l'enfer les dernières années de leurs vies... Dès le début du siège de Srebrenica en avril 1992, les bombes dévastaient tout dans une ville sans aucun abri digne de ce nom. Le canal d'approvisionnement en eau a rapidement été détruit. Les tchéthniks (extrémistes serbes) ont coupé le téléphone, puis l'électricité. Si cela avait été possible, ils nous auraient également coupé l'air que nous respirions. Nous faire disparaître tous, c'était le but.

Des enfants transpercés à la baïonnette parce qu'ils pleuraient
Au bout de deux mois, plus de nourriture. J'allais me battre pour récupérer dans la forêt des petits colis qu'on nous jetait par avion. Une fois, j'ai ramassé une conserve de poisson russe fabriquée pendant la seconde guerre mondiale. Elle était impossible à ouvrir et à découper. J'ai dû me servir d'un marteau. La faim, c'est pire que les bombes. La faim, c'est pire que la mort.

J'espérais encore. Le reste du monde allait empêcher le pire, j'allais redevenir une femme libre dans une ville ouverte à nouveau. Effectivement, les voies de communication se sont rouvertes mais pour que les tchétniks commettent un génocide avec la complicité des casques bleus néerlandais et celle du monde entier. Les premières images qui me viennent en tête sont celles d'enfants transpercés à la baïonnette parce qu'ils pleuraient. De femmes enceintes éventrées vivantes, d'embryons tombant par terre. Des images de viols. La vérité ne redonnera pas vie à nos morts, ni à Srebrenica, mais la défendre est vitale pour un meilleur demain. Srebrenica doit sonner comme un avertissement.


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