La liberté de la presse n’a plus cours en Turquie

Nouvelle vague d’arrestations en Turquie. Trente-cinq mandats d’arrêts ont été lancés contre des journalistes. Le tribunal d’Istanbul a rendu son verdict.

Sous couvert de justifier d’un grand « nettoyage » suite au putsch avorté de juillet 2016, le gouvernement turc laisse libre cours à la dérive autoritaire du président Récep Tayyip Erdogan qui « criminalise » toute tentative contestataire mettant ainsi fin à la liberté d’expression dans le pays. Toutes les strates de la société civile sont concernées dès qu’elles deviennent critiques : éducation nationale, justice, administration, presse, intellectuels, etc.

Deux principaux chefs d’accusation demeurent récurrents actuellement quelques soient les personnes visées : appartenance à la confrérie du prédicateur Fethullah Gülen accusée d’avoir fomenté la tentative de coup d’état de juillet 2016 ou soupçon « d’appartenir à une organisation terroriste » ou plus précisément, considérée comme « terroriste » par le régime.

Bylock devient une application « terroriste »
Le 10 août, 35 mandats d’arrêts ont été lancés contre des personnes accusées de « terrorisme » collaborant avec des médias. Elles sont soupçonnées d’appartenir à la confrérie Gülen pour avoir utilisé comme support de communication l'application de téléphonie mobile ByLock, application de messagerie cryptée. Mais le lien peut être beaucoup plus ténu. Il peut se limiter à un numéro de téléphone trouvé dans les contacts d’une personne ayant utilisé Bylock mais également à avoir prononcé le nom « Gülen » dans un lieu public…

Le parquet d’Istanbul a statué pour l’arrestation de neuf journalistes mis en garde à vue le 10 août. Il s’agit de Burak Ekici (éditeur du journal d’opposition Birgün), Ömer Faruk Aydemir (ancien éditeur de l'agence İhlas), Muhsin Pilgir (ancien journaliste de Zaman), Sait Gürkan Tuzlu (ancien journaliste de l'agence de presse Cihan), Cüneyt Seza Özkan (ancien éditeur de nouvelles télévisées de Samanyolu), Mutlu Özay et Ahmet Feyzullah Özyurt (anciens journalistes de l'agence de presse Cihan), Yasir Kaya (ancien directeur de la Fenerbahçe TV) et Mehmet Ali Ay. Yusuf Duran (éditeur de Vatan), et Ahmet Sağırlı (ancien chroniqueur de Türkiye), ont été libérés sous contrôle judiciaire.

La police poursuit ses opérations pour arrêter Abdülkadir GümüÅŸsoy, Ahmet DoÄŸan, Bedrettin UÄŸur, Yakup Üstün, Selim Sırrı Bayer, Mustafa Gürlek, Emrah Kamil Ülker, ErtuÄŸrul ErbaÅŸ, Hüdaverdi Yıldırım, Hülya Tekin, İbrahim YekebaÅŸ, İrfan Galip Dumlu, İsmail Muhammet SağıroÄŸlu, Levent Özkökeli, Mahir Etyemez, Mesut Ertanç, Murat Keskin, Mustafa Kılıç, Osman Çalık, Sedat Gülmez, Serdar Bal, Aysun Yazıcı Kurumahmut, Hasan Hüseyin Koç et Emrah Direk.

Ces arrestations s’ajoutent à celles des quatre rédacteurs du célèbre quotidien d’opposition Cumhuriyet toujours en détention, accusés d’avoir soutenu des groupes communistes, kurdes, ainsi que les putschistes.

Les journalistes étrangers ne sont pas épargnés
Mais le risque concerne également les journalistes étrangers, de toutes nationalités. Une cinquantaine d’expulsions ont été relevées à ce jour. Denis Yücel, correspondant en Turquie de Die Zeit (quotidien allemand) est incarcéré depuis le mois de février. Mathias Depardon a été accusé de se livrer à des actions de propagande du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) pour avoir diffusé sur son compte Instagram une photo de recrues féminines kurdes en tenue de combat avec la légende « femmes du PKK », photo prise dans le cadre d’un reportage effectué dans le nord de l’Irak en 2014. Il est resté plusieurs semaines derrière les barreaux d’un centre de détention de migrants clandestin non loin de la frontière syrienne.

Et tout récemment, Loup Bureau, reporter indépendant ayant collaboré pour TV5 Monde, Arte et Slate a été interpellé le 26 juillet à la frontière entre l’Irak et la Turquie pour détention de photos le montrant en compagnie de combattants kurdes syriens des YPG (Unités de protection du peuple, groupe armé kurde). Il n’est toujours pas libéré à ce jour.

Le pays occupe la 155e place sur 180 du classement mondial de la liberté de presse de Reporters sans frontières. Plus de 150 médias ont été fermés par décret (grands journaux, médias de gauche ou liés à la communauté kurde, télévisions d’opposition). Une centaine de journalistes sont actuellement incarcérés dans le pays dans des conditions de détention plus que déplorables où tout est mis en œuvre pour que la préparation de leur défense soit compliquée à mettre en place. Beaucoup risque de lourdes peines pouvant aller jusqu’à la prison à vie.

En Turquie, la république née de la révolution kémaliste n’est plus qu’un lointain souvenir. Toute personne critique envers le régime en place est considérée comme « terroriste ». Toute personne « ayant un lien » avec des mouvements communistes, des ligues extrémistes ou des groupes considérés comme terroristes par le gouvernement, est elle-même considérée comme « terroriste ». L’autoritarisme paranoïaque du président Erdogan plonge le pays dans un régime autocratique où liberté d’expression rime avec incarcération. Et bien qu’une partie de la population turque idolâtre son Reis, l’autre moitié lutte avec un courage extrême pour défendre au quotidien les valeurs du mot Liberté. Il serait souhaitable toutefois que ce combat sorte de l’ombre et obtienne le soutien des puissances occidentales qui sous couverts d’enjeux économiques, militaires et politiques ferment ostensiblement les yeux sur les exactions perpétrées par le gouvernement turque et tentent de trouver un consensus, monnayant ainsi les droits fondamentaux de l’Homme qu’elles sont censées défendre…

B.T.

Dogan Presse Agence


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