Le ‘nettoyage’ s’intensifie en Turquie

Par deux décrets-lois publiés vendredi 25 août au Journal Officiel, plus de 900 fonctionnaires supplémentaires ont été limogés et les services de renseignements turc (MIT) ont été rattachés à la présidence.

Dans le cadre des purges lancées suite au putsch avorté de juillet 2016, les décrets statutaires n° 693 et 694, votés en pleine nuit, ont permis le limogeage de 928 fonctionnaires dont 128 universitaires ainsi que la fermeture de trois médias. Sont concernés essentiellement des universitaires (120 plus 52 employés administratifs d’établissements d’enseignement supérieur), le ministère de l’intérieur et ses filiales (215 personnes), le ministère de la justice et ses filiales (142 personnes), des militaires (106 personnes faisant partie des forces terrestres, 90 des forces aériennes et 40 des forces navales). Dix généraux de brigade à la retraite ont été dégradés. Par ailleurs, le 2 août dernier, les hautes autorités militaires et gouvernementales turques avaient déjà décidé de remplacer les chefs des armées de terre, de l’air et de mer.

Trois associations et trois médias ont également été clôturés. Il s’agit du journal Rojeva Medya, du site de presse féminin Åžûjin et de Dicle Media News Agency (DIHA). Prétendument accusés d’être engagés dans une activité mettant en cause la sécurité nationale du pays, la vraie raison de cette décision est d’avoir osé informer sur les massacres écologiques, historiques et ethniques commis par le pouvoir en place dans les régions kurdes. Le bureau central de l’agence DIHA ainsi que celui de Gazette Åžûjin ont été scellés par les forces de police et toutes leurs possessions seront transférées gratuitement au Trésor.
L’agence d’information DIHA n’avait pas hésité à publier des photos et des informations sur les répressions, tortures et pratiques inhumaines pratiquées par le gouvernement turc envers les kurdes. Le journal kurde Gazete Åžûjin dont l’équipe n’était constituée que de femmes publiait sous le slogan « une aiguille d’emballage dans la langue des médias ». Considéré comme la voix des femmes dans les médias, son site avait déjà subi de multiples cyber attaques afin de bloquer la diffusion de leurs informations. Le site de presse Rojeva Medya était l’unique quotidien publié en kurde en Turquie.

En revanche, ce même décret-loi a réaffecté à leur poste 57 fonctionnaires et militaires préalablement limogés dont 28 employés du Ministère de la justice ou d’institutions dépendantes.

Vendredi 25 août, dans un communiqué, la Direction générale de la sûreté nationale a également annoncé avoir réintégré 734 de ses employés, auparavant suspendus.

Les renseignements sont désormais rattachés au président
Un autre décret-loi publié conjointement au précédent prévoit le rattachement des services de renseignements turc (MIT) au président Erdogan ainsi que la création de 32 000 postes au sein des forces de sécurité (dont 22 000 postes de policiers) et 4 000 postes de juges et procureurs. 
Ce décret-loi stipule également qu’un Comité de coordination des renseignements nationaux (MIKK) sera créé et dirigé par la présidence.
En outre, le MIT aura autorisation d’enquêter sur les employés du ministère de la Défense et sur les membres des forces armées. Toutefois, l’autorisation du président sera désormais nécessaire pour qu’une enquête sur le patron du MIT soit ouverte ou qu’il soit convoqué comme témoin.
Ces mesures semblent avoir été prises en vue de l’application de la réforme constitutionnelle adoptée par le référendum d’avril dernier, réforme qui permettra de supprimer le poste de premier ministre et transférera par voie de conséquence tous les pouvoirs au président en place. Ces mesures sont prévues pour entrer en application après les élections de 2019.

Depuis juillet 2016, et en représailles du coup d’État raté, 140 000 personnes de la fonction publique ont été limogées, 1 043 écoles privées et 15 universités ont été fermées ainsi que des dizaines de médias et d'associations. De nombreux journalistes ont été licenciés. On déplore également l’incarcération de 50 000 personnes dont plus d’une centaine de journalistes et 70 000 personnes font l’objet d’enquêtes. Le président Erdogan tisse peu à peu la toile de son autoritarisme, mettant ainsi irrémédiablement fin à la démocratie. En affirmant que les oppressions qui sévissent dans le pays, ce grand « nettoyage » comme il le qualifie lui-même, sont indispensables pour faire face à la double menace « terroriste » du groupe État islamique (EI) et du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), il ne fait que démontrer sa volonté de museler toute velléité contestataire et confirme la dérive politique qui est en train de se mettre en place en Turquie. Et en réprimant ce qu’il considère comme des tentatives de le faire vaciller de son pouvoir, il assoit indéniablement un régime despotique où autocratie rime avec tyrannie…

Béatrice Taupin
Dogan Presse Agence


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