Dilek DoÄŸan, assassinée par la police d’Istanbul le 18 octobre 2015
Il y a deux ans, la police turque pénétrait dans le domicile de Dilek DoÄŸan et tirait à bout portant sur la jeune fille de 25 ans.
Dimanche 18 octobre 2015. En pleine nuit, une vaste opération anti-terroriste a lieu dans quartier populaire majoritairement alévi de KüçükArmutlu à Istanbul. Des perquisitions sont effectuées sous le prétexte de rechercher le suspect d’un attentat s’étant déroulé près de l'Ambassade des États-Unis, quelques temps auparavant et ayant été repéré dans le quartier. À l’aube, la police pénètre dans la maison de la famille de Dilek DoÄŸan, affirmant chercher le kamikaze. La jeune fille leur demande alors de ne pas pénétrer dans la maison avec leurs chaussures. Elle ne sera pas écoutée et la perquisition commence mêlée à une altercation au cours de laquelle un policier tire à bout portant sur la jeune fille, la blessant à la poitrine.
Les officiers de police préviennent alors leur hiérarchie qu’une personne a été accidentellement blessée mais en affirmant qu’il s’agissait d’une raison de légitime défense. Dilek aurait peut-être pu être sauvée si les secours avaient été prévenus immédiatement pour la transporter à l’hôpital. Mais non ! Tout en minimisant les faits, il semblait plus urgent, et pour cause, d’effacer les traces de l’accident.
Trente-deux heures après les faits, un communiqué diffusé par les services de police affirme que la jeune fille a été blessée alors que son frère aîné, Mehmet DoÄŸan aurait essayé d’attraper l’arme de la personne « chargée de la sécurité de l’opération ».
Dilek DoÄŸan décèdera huit jours plus tard, le dimanche 25 octobre, au services des soins intensifs de l’hôpital d’Okmeydanı. Les réseaux sociaux s’emparent de la nouvelle, provocant une vive émotion et de multiples réactions. Le hashtag #dilekdogan circule de manière virale reflétant la colère et l'indignation de personnes du monde entier.
Le procès débute en novembre 2015, et se déroule à huis clos pour des raisons de sécurité. Le juge statue sur un « homicide involontaire ». La peine initiale encourue par le policier est de 20 à 26 ans de prison ferme. Or, lors de la sixième audience, le 8 mars dernier, ressort une vidéo, effacée par les services de police eux-mêmes, récupérée par le laboratoire criminel de la gendarmerie, et dans laquelle on peut y visionner non seulement le début de la perquisition mais également et sans aucune doute possible, un agent des opérations spéciales tirer sans raison aucune sur la jeune fille. Mais le procureur déclare qu’il s’agit d’une « négligence intentionnelle » et requiert donc une peine pouvant aller de 2 a 6 ans de prison. Enfin le 17 mars, la Cour a finalement statué sur une peine de 6 ans et trois mois de prison à l’encontre de l’auteur du meurtre de Dilek DoÄŸan.
Répressions contre la gauche révolutionnaire
L’intervention policière qui a coûté la vie à Dilek DoÄŸan fait partie d'une longue série de perquisitions et de tentatives d’intimidation que le gouvernement opère contre la gauche révolutionnaire en Turquie. Concernant ce fait précis, la justification de l’AKP était la traque des suspects ayant participé à l'attaque suicidaire du 10 octobre à Ankara, attentat ayant provoqué plus d’une centaine de morts et 250 blessés lors d'une manifestation pour la paix dans le pays. Or, un des organisateurs de ce rassemblement était le Parti de la démocratie des peuples (HDP, parti politique pro kurde)… Et bien que les autorités turques aient affirmé que l’État islamique constituait le principal suspect de l’attaque, l’opposition au gouvernement a évoqué la responsabilité du ministère de l’intérieur.
Dans ce contexte politique, alors que les preuves contestent de façon irrévocable la thèse de l’accident, quelles pouvaient être les motifs réels de l’assassinat de Dilek DoÄŸan ? Tout d’abord, la jeune fille qui avait fait des études juridiques aidait le Bureau des droits du peuple (Halkın Hukuk Bürosu - HHB). Or ce cabinet constitue de plusieurs avocats défend des centaines de militants politiques dans le pays. Aujourd’hui encore, elle est victime de perquisitions et d'arrestations avec l'accusation « d’appartenance à une organisation terroriste » et encore récemment avec l’incarcération le 12 septembre 2017 de 14 avocats défendant Nuriye Gülmen et Semih Özakça, les deux professeurs en grève de la faim pour récupérer leurs emplois perdus dans le cadres des purges qui font suite au push avorté de juillet 2016.
Au-delà de cela, connue et estimée dans différents quartiers d'Istanbul, Dilek faisait partie de la gauche marxiste-léniniste. Et la police a affirmé qu'elle faisait partie du Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP-C), organisation figurant sur la listes des organisations terroristes.
Et surtout, en 2015, elle s’était engagée dans une série d'actions contre la police et la magistrature suite au décès début mars 2014, de Berkin Elvan. Adolescent de quinze ans, il vivait dans le quartier Okmeydanı d’Istanbul. En juin 2013, alors qu’il venait d’aller chercher le pain, il fut mortellement blessé, après avoir été frappé à la tête par une capsule de gaz lacrymogène tirée par la police lors des manifestations antigouvernementale de Gezi Park à Taksim Square. Son décès est survenu après 269 jours de coma.
Les raisons d’éliminer Dilek DoÄŸan étaient multiples. La jeune fille a été la victime du climat de terreur qui règne dans le pays depuis quelques années où le président Erdogan est déterminé à asseoir son autorité. Il a mis en place une politique de « harcèlement judiciaire et policier ». Les violences et abus commis en masse par la police turque jouissent désormais d’une « impunité » dénoncée par Amnesty International. La police bloque les enquêtes qui sont menées contre ses propres membres et la justice ne fait désormais plus montre d’impartialité. Le nombre de victimes « innocentes » du pouvoir en place ne se compte plus. Et la liste de celles de la gauche révolutionnaire est trop longue pour pouvoir toutes les citer. Aujourd’hui encore, la chasse contre le Front populaire perdure et l’on peut déplorer en un seul mois, 66 membres incarcérés ! Mais la résistance devient de plus en plus organisée contre l’arbitraire de la répression policière. Et comme il est dit en Turquie : « les révolutionnaires meurent, pas la révolution »…
Béatrice Taupin
Dogan Presse Agence