La résistance de Nuriye doit se conjuguer au présent !

Lors de la troisième audience du procès de Nuriye Gülmen et Semih Özakça, les deux professeurs turcs en grève de la faim pour récupérer leurs emplois, le 20 octobre à Ankara, la justice a tenté de jouer la carte de la scission.
 
Nuriye Gülmen et Semih Özakça sont deux enseignants en grève de la faim depuis 236 jours. Licenciés par décrets-lois dans le cadre de l’état d’urgence instauré dans le pays après le putsch avorté de juillet 2016, puis emprisonnés sous la fausse accusation d’appartenance à une organisation terroriste, ils luttent pour récupérer leurs professions et revendiquer leurs droits ainsi que ceux de milliers de personnes dans leur situation. En solidarité, leur résistance a été reprise dans le pays mais également à l’extérieur des frontières de la Turquie. Et voilà qui n’est pas pour plaire au gouvernement du président Recep Tayyip Erdogan qui considère ce phénomène qu’il ne maîtrise plus comme une ombre ternissant l’image de perfection qu’il souhaiterait diffuser de part le monde… Volonté illusoire si tant est que certains y croyaient encore !
Et parce que pour garder le pouvoir, il faut maîtriser le mensonge et construire un mur d’enceinte autour de la vérité, tout a été mis en œuvre pour que Nuriye et Semih ne puissent plaider leur liberté. Incarcérations de leurs avocats, impossibilité d’être présent à leur première audience, hospitalisation de force pour Nuriye, le pouvoir en place n’a reculé devant aucun subterfuge. Mais leur dossier est vide, les accusation sont fausses et les transgressions éthiques et juridiques nombreuses. Devant l’impasse dans laquelle elle se trouve, durant les deux premières parties du procès, la justice turque a misé sur le fait que le temps aurait raison de la résistance physique des deux professeurs. Or, et heureusement, ce qu’elle attendait très certainement ne s’est pas produit. Le 20 octobre, elle a donc sorti une nouvelle carte : celle de la division en libérant Semih Özakça sous résidence surveillée et en prolongeant l’incarcération de Nuriye Gülmen jusqu’au 17 novembre, date de leur prochaine comparution. Qu’espère-t-elle par une telle décision ? Qu’à cette date, l’irrémédiable se soit produit pour Nuriye ? Très certainement ! Que la résistance mise en place en solidarité avec les deux professeurs s’émousse devant la libération de Semih ? Fort probablement ! Mais heureusement, tel n’est pas le cas. Comment alors ne pas s’interroger face à la différence de traitement dont ont fait l’objet les deux enseignants lors de cette procédure juridique.
 
Justice en demi-teinte !
Si l’on ne peut que se réjouir de la libération sous surveillance de Semih Özakça qui est désormais assigné à résidence, il reste toutefois un goût amer lorsque l’on songe que Nuriye est toujours incarcérée. Mais pourquoi a-t-elle été traitée différemment de Semih alors que les chefs d’accusation sont les mêmes pour les deux professeurs ? Pourquoi, contrairement à Semih, elle n’a jamais pu assister à son procès et plaider sa défense ? Pourquoi pour l’en empêcher, elle a été hospitalisée au service de soins intensifs de l’hôpital Numune à Ankara alors que son état ne le justifiait pas ? Pourquoi, le procureur s’est rendu à son chevet pour tenter de récupérer sa déposition alors qu’elle affirmait être en état d’être présente au tribunal ?
Il est clair que la justice d’Ankara a sciemment écarté Nuriye et de multiples raisons peuvent expliquer cette décision.
Tout d’abord, Nuriye reste l’instigatrice de ce mouvement de rébellion. Au départ, elle était seule tous les jours devant la statue des Droits de l’Homme de l’avenue Yüksel à Ankara et ce n’est qu’ensuite que Semih est venu la trouver pour joindre sa lutte à la sienne. Le gouvernement en place tient-il à la punir pour cela ? On peut aisément le supposer !
Certains diront qu’elle est dans un état physique tel que les autorités préfèrent la garder cachée. C’est également une possibilité. Effectivement, Nuriye ne pèse plus que 35 kilos pour 1,79 mètre. Et pour le coup, la belle illusion de démocratie que souhaite diffuser le président Erdogan en dehors de son pays serait pour le coup entachée par une telle vision, qui prouverait que la Turquie piétine allègrement les droits de son peuple…
D’autres avanceront le fait que son statut de femme peut expliquer les maltraitances et injustices dont elle a fait l’objet. Et c’est vrai que dans un pays qui s’enfonce peu à peu dans l’obscurantisme religieux, où l’islamisation est un projet phare du président Erdogan, et où la laïcité est remise en cause notamment dans l’un de ses principaux bastion qu’est l’éducation, on peut supposer que le statut de femme de Nuriye ait été à l’origine d’un certain nombre d’atteintes à ses droits fondamentaux.
Enfin, il est vrai que si le pire devait arriver à Nuriye, cela permettrait au gouvernement d’Ankara de réprimer les contestations. En effet, pour un dirigeant qui assoit son despotisme sur la vie de ses victimes, le décès de Nuriye serait un moyen de rappeler, à quiconque tenterait d’émettre une opinion divergente, les risques encourus lorsqu’une personne tente de remettre en cause le pouvoir en place.
Alors pour une de ces raisons ou pour toutes à la fois, Nuriye n’a jamais pu plaider sa liberté et demeure incarcérée jusqu’au 17 novembre prochain. Et il ne reste plus qu’à espérer que sa résistance physique soit à la hauteur de sa force psychologique.
Quoi qu’il en soit, il semblerait que l’État turc ait tenté une justice à deux vitesses. Il s’est montré indulgent en libérant Semih tout en décidant de sacrifier Nuriye. Car, encore une fois, il s’agit bien de cela. Une tentative de repousser pour des raisons fallacieuses les dates du procès en espérant que le temps sera un allié de taille. Parce que si le pire devait arriver, Semih sera le faire valoir de la justice turque qui lèvera l’étendard de sa libération pour justifier de sa magnanimité. Et elle se cachera derrière l’état de santé de Nuriye pour s’exempter de toute responsabilité.
Et pour cela, il est impossible de se réjouir pleinement de la libération de Semih alors que Nuriye est en train de mourir dans une prison turque. La résistance qui s’est montée en solidarité avec les revendications des deux professeurs est toujours active et son objectif est d’obtenir la libération de Nuriye. Sur ce point précis, et fort heureusement, les tentatives de dissension du gouvernement d’Ankara ont échoué.
 
« Celle qui s’est tenue debout en restant assise »
Nuriye Gülmen et Semih Özakça sont désormais devenus le symbole de la lutte pour la justice, les icônes de la résistance populaire. Et l’on peut devenir une figure emblématique par des actes qui semblent insignifiants. Lorsqu’en pleine ségrégation raciale, le 1er décembre 1955, Rosa Parks, lasse de « céder » a refusé de laisser sa place à un passager blanc dans un bus, elle ignorait qu’elle allait devenir la « mère du mouvement des droits civiques ». Ni que lors de ses obsèques, les bus de Montgomery honoreraient sa mémoire par cette inscription : « la société de bus RTA rend hommage à la femme qui s’est tenue debout en restant assise ». Et ce témoignage de respect convient tout autant à Nuriye Gülmen qui tous les matins allait s’asseoir au pied de la statue des droits de l’Homme à Ankara. Elle n’imaginait très certainement pas à ce moment que son initiative allait prendre une telle ampleur, que des mois plus tard, sa capacité à lutter et à résister n’aurait comme seules limites que celles de sa vie.
Alors oui, quelle que soit l’issue de son combat, Nuriye Gülmen fait déjà partie de ces femmes d’exception, ces résistantes qui ont marqué l’Histoire. Celles qui ont insufflé l’élan de la victoire sur ce qui avait la couleur de la défaite. Celles qui, au péril de leur vie, ont semé le vent de la révolte pour conquérir la liberté.
Malala Yousafzai, militante pakistanaise des droits des femmes, en lutte pour l’éducation des filles et contre les talibans, devenue Prix Nobel de la Paix à l’âge de 17 ans, avait déclaré à la tribune de l’ONU : « les extrémistes ont peur des livres et des stylos. Le pouvoir de l’éducation les effraie ». Comment là également ne pas faire un parallèle avec la Turquie qui limoge ses enseignants, ferme ses écoles et ses universités. Et que penser de ce pays qui cesse d’évoluer en remaniant le contenu des programmes scolaires de primaire et lycée pour le faire correspondre à ce qui ressemble dangereusement à une fatwa, en supprimant la théorie controversée de Darwin jugée contraire au Coran pour diffuser celle du créationnisme.
Nuriye Gülmen est animé par cet esprit de combativité indispensable pour faire triompher les fondements de l’humanité. Comme Rosa Parks, Malala Yousafzai ou Lucie Aubrac, grande figure de la résistance française durant la seconde guerre mondiale, qui affirmait que « le verbe résister doit toujours se conjuguer au présent », Nuriye sait que partout où sont installés dictatures et intégrisme, les droits des femmes sont bafoués. Elle fait désormais partie de ces nombreuses figures féminines qui, partout dans le  monde, ont combattu contre les inégalités, le totalitarisme, le respect des droits humains, la paix et la démocratie. Les luttes et les contestations de ces femmes, certaines au prix de leurs vies, ont ouvert les chemins de la liberté pour chacun de leurs peuples.
 
Béatrice Taupin
Dogan Presse Agence


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