En Turquie, les avocats sont emprisonnés !
Depuis la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016, la Turquie est rentrée dans une nouvelle ère, celle où des milliers de personnes sont limogées : professeurs, journalistes, avocats… Mercredi 8 novembre à Istanbul, Selçuk KozaÄŸaçlı, le président de l'Association des juristes progressistes (ÇHD) a été mis en garde à vue, comme un grand nombre de ses confrères. Ils sont avocats et détenus pour cela.
Alors qu’il s’apprêtait à assister à un meeting pour répondre aux attaques contres les défenseurs des droits de l’homme, Selçuk KozaÄŸaçlı, le président de l'Association des juristes progressistes (ÇaÄŸdas Hukukçular DerneÄŸi – ÇHD) a été arrêté et mis en garde à vue au commissariat principal de Vatan à Istanbul, malheureusement réputé pour avoir fréquemment recours à l’usage de la torture.
Déjà le 12 septembre, afin d’entraver le procès en cours de Nuriye Gülmen et Semih Özakça, les deux professeurs limogés en grève de la fin depuis le mois de mars 2017 pour récupérer leurs emplois, seize avocats avaient été eux aussi victimes des purges qui sévissent dans le pays et incarcérés 48 heures avant la première audience.
Afin de bloquer les activités de l’association des juristes progressistes, et comme c’est le cas pour beaucoup en Turquie, il y a un an, leurs bureaux avaient été fermés par décret-loi passé dans le cadre de l’État d’urgence. Mais les membres du ÇHD qui ne reconnaissent aucune valeur à cette décision avaient fait sauter les scellés pour réintégrer les lieux et poursuivre leurs actions.
L’avocat du peuple opprimé
Aujourd’hui, Selçuk KozaÄŸaçlı est en garde à vue car en Turquie, les avocats sont identifiés aux causes qu’ils plaident. Parce que dans ce pays, défendre une personne accusée de terrorisme vous rend complice de ce même chef d’accusation. Il a été arrêté pour être l’avocat de Nuriye et Semih mais également pour avoir défendu les familles de Dilek DoÄŸan ou de Berkin Elvan. Tous deux font partie des nombreuses victimes ayant succombé suite à des opérations policières. L’une fut exécutée à 25 ans en pleine nuit à son domicile et l’autre, adolescent de quinze ans, fut mortellement blessé lors des manifestations antigouvernementales de Gezi Park à Taksim Square. Il a également représenté les familles des mineurs de Soma où 301 d’entre eux ont perdu la vie lors d’une explosion et il a été l’avocat de plusieurs procès du peuple kurde. Il a été arrêté car il est l’avocat du peuple opprimé par le gouvernement du président Réceip Tayip Erdogan.
Lors de son arrestation, aucun avocat n’a pu être présent pour l’assister. Mais certains sont finalement parvenus à le rencontrer et à s’entretenir avec lui. Selon eux, son état de santé et son moral semblent corrects. Selçuk KozaÄŸaçlı a informé qu’il entamait une grève de la faim : « je suis l’avocat de Nuriye Gülmen et Semih Özakça. Je fais une grève de la faim comme eux ». Et sur un mot manuscrit, il a écrit : « nous ne nous rendrons jamais ! Nous allons vaincre ! Salutation à tout le monde. Continuons la lutte. »
Selon une loi nouvellement décrétée, il est censé rester sept jours en garde à vue avant d’être présenté au procureur alors que la réglementation préalablement en vigueur stipulait que cette démarche devait se produire au bout de quatre jours seulement.
« La solidarité nous rend meilleurs et plus forts »
Dans un communiqué de presse, le ÇHD d’Istanbul indique qu’en un mois et demi, quatre perquisitions ont eu lieu et que plusieurs dizaines de confrères ont été mis en garde à vue avec l’usage de la force. Mais « vous ne pouvez pas nous faire taire » ajoute-t-il.
Le ÇHD d’Ankara affirme quant à lui que le régime au pouvoir poursuit les attaques contre les avocats par le biais des gardes à vue et la pratique de la torture. Et bien que des arrestations aient lieu, le président de l’association des barreaux turcs, Metin FeyzioÄŸlu, persiste à garder le silence, signe indéniable de collaboration avec le gouvernement.
Gökmen YeÅŸil, le président du ÇHD d’Istanbul a essuyé deux refus pour rencontrer le procureur puis a fait une déclaration à la presse : « lorsque Selçuk KozaÄŸaçlı a été mis en garde à vue, il a entamé une grève de la faim. Si ne passe pas devant le procureur d’ici quatre jours, il supprimera l’eau et le sucre ».
Selçuk KozaÄŸaçlı est toujours détenu au commissariat de Vatan. Les barreaux de Bursa et d’Antalya ainsi que plusieurs autres présidents de barreaux ont également tenté à plusieurs reprises de contacter le représentant du procureur général mais sans succès.
Plusieurs députés et représentants d’ONG ont fait des déclarations pour obtenir la libération du président du ÇHD. Les membres de l'Association des juristes progressistes appellent les avocats, les démocrates et les syndicats à soutenir Selçuk KozaÄŸaçlı le 10 novembre à Istanbul. Bien qu’ils déplorent le silence de la Cour face à la situation des avocats et juristes en Turquie, ils ont tout de même alerté la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) sur l’arrestation de leur président. Ils souhaitent également avoir accès aux requêtes du dossier de Nuriye Gülmen et Semih Özakça concernant l’incarcération de leurs seize avocats. Enfin, ils invitent un maximum de personnes à envoyer sur le fax* de la CEDH leur soutien aux avocats turcs.
Voici la situation déplorable de la justice en Turquie. Elle est devenue un moyen d’instrumentalisation du gouvernement de l’AKP pour neutraliser ses opposants. Le 9 novembre, à Ankara, devant la statue des Droits de l’Homme, le président de la Ligue des droits de l’Homme ainsi que plusieurs autres personnes ont également été mises en garde à vue. Quelques heures avant son arrestation Selçuk KozaÄŸaçlı avait tweeté : « la solidarité nous rend meilleurs et plus forts ». Seule cette solidarité indispensable envers tous les avocats turcs incarcérés pour avoir défendu leur intégrité en combattant avec équité les oppressions du pouvoir en place pourra permettre de rétablir la justice dans le pays…
Béatrice Taupin
Dogan Presse Agence
* Numéro de fax de la CEDH : +33 (0)3 88 41 27 30