L’affaire Berkin Elvan : 'le combat de toute une société'
Lors de la troisième audience de son procès, la dix-septième Haute Cour du tribunal pénal d’Istanbul a rejeté la demande d’arrestation contre Fatih Dalgalı, le policier responsable de la mort de Berkin Elvan. L’affaire est ajournée au 13 décembre prochain.
Adolescent de quinze ans, Berkin Elvan vivait dans le quartier Okmeydanı d’Istanbul. En juin 2013, alors qu’il venait d’aller chercher le pain, il fut mortellement blessé, après avoir été frappé à la tête par une capsule de gaz lacrymogène tirée par la police lors des manifestations antigouvernementale de Gezi Park à Taksim Square. Son décès est survenu après 269 jours de coma. Le premier ministre turc de l’époque, Recep Tayyip Erdogan avait affirmé que le garçon était « membre d'une organisation terroriste » car son visage était couvert d'un foulard.
Le procès a débuté en avril 2017. Suite à diverses aggressions policières envers la famille et leurs avocats, la procédure a été plusieurs fois été obstruée et ajournée.
Le 12 mars 2014, quatre policiers ont témoigné pour l'enquête concernant cette affaire et en tout, dix-huit policiers ont été entendus comme suspects. Mais pas un seul d’entre eux n’a été privé de liberté…
Le 16 novembre, des mesures de sécurité importantes ont été prises autour et à l’intérieur du palais de justice. Les parents de Berkin étaient présents. De nombreux avocats de la famille ont été arrêtés pour « appartenance à une organisation terroriste ». Vingt-neuf présidents de barreaux représentaient la famille Elvan. Les députés du Parti républicain du peuple (CHP), Gamze AkkuÅŸ Ilgezdi, Mahmut Tanal, Hilmi Yarayıcı et Ali Haydar Hakverdi assistaient également à cette nouvelle partie du procès.
L’agent de police accusé, Fatih Dalgalı devait assister virtuellement à l’audience par le biais du système de visioconférence (SEGBİS). Une peine de réclusion à perpétuité pour « meurtre intentionnel » est requise contre lui par les avocats de la défense.
Selon la décision de juillet 2017, la 17ème Haute Cour pénale d'Istanbul, avait envoyé à la Radio-télévision de Turquie (TRT) des images prises le jour de l'événement. Or TRT a déclaré qu'il était impossible de répondre à la demande du tribunal car « il n'y avait pas assez d'experts spécialisés capables d'examiner les informations et les documents soumis avec le dossier et par conséquent la demande n'a pas été traitée ». Ella a précisé à la Cour que « l’amélioration des images prises à cette époque est valable pour les films. L’infrastructure technologique de notre établissement ne permet pas l’amélioration et la clarification d'images provenant d'équipements techniques tels que CD ou cassettes ou caméras de sécurité pour les examens souhaités ».
Le procureur avait également demandé à ce que les images soient envoyées au Conseil de la Recherche Scientifique et Technologique (TÜBITAK) et à la Branche criminelle de la Gendarmerie pour être améliorées et pour permettre l'identification des autorités de sécurité sur les lieux.
Le président du tribunal, Canel Rüzgar, a déclaré que TÜBITAK avait envoyé les fichiers améliorés sur disque dur. Après le visionnage des éléments, Can Atalay, un des avocats de la famille Elvan a pris la parole et a tenu les propos suivants : « Le rapport de TÜBITAK est embarrassant. Entre les pages 10 et 32, les photos n'ont pas été améliorées et les personnes sur les clichés ont été rendues méconnaissables. Mais sur les pages 33, 34 et 35, les images des citoyens civils sont presque parfaites. Nous demandons que la date de la prochaine audience soit donnée et qu'une plainte criminelle soit déposée contre la TRT parce que la réponse est insultante ». L’arrestation de l’accusé, Fatih Dalgalı, a également été demandée par plusieurs avocats de la famille. Derya Koyuncu, l’avocat de l’accusé, a demandé la suppression de l'obligation de son client d’être présent à l’audience.
Dans la décision provisoire, il a été stipulé que les personnes présentes sur les lieux et les personnels de santé qui se trouvaient à l'hôpital d'Okmeydan seraient entendus comme témoins. Il a également été décidé que l’accusé devrait rejoindre la session suivante via SEGBIS mais a rejeté les demandes des avocats de la famille Elvan pour son arrestation. Le tribunal a également rejeté la demande d'une plainte pénale concernant la réponse de la TRT. La procédure a été reportée au 13 décembre.
Après l’audience, la famille Elvan et ses avocats ont fait une déclaration à la presse devant le tribunal. Le père de Berkin Elvan, Sami Elvan, a déclaré : « L’audience d'aujourd'hui n'est pas seulement pour Berkin Elvan, mais pour tous les habitants de Turquie. Nous sommes toujours ensemble avec les familles de Gezi afin qu'aucune injustice de ce type ne puisse se reproduire. Nous combattons pour toute la société. Ces enfants ne donnent pas leur corps en vain. (…) Nous ne ferons plus face а un tel événement avec une décision exemplaire. » Il a ajouté qu’il réclamait seulement la justice et la loi puis a réagi face à l'arrestation des avocats de la famille : « ls essaient de faire taire nos avocats aujourd'hui en terrorisant nos enfants. Nous ne vieillirons pas avec eux, nous n'avons pas peur d'eux, nous n'aurons pas peur. Ils ne peuvent plus nous tuer. Nous sommes déjà morts vivants. Ce suspect doit être jugé ici. Cela doit nous prouver que notre opposition est juste pour nous. »
Can Atalay, l’avocat de la famille, est également intervenu : « Nous sommes ici malgré les arrestations des avocats qui ont arrêtés pour avoir défendu le dossier Berkin Elvan. Nous continuerons à être ici. Nous sommes ici pour dire que nous n'avons pas oublié ce que nous sommes. Nous sommes ici parce que nous n'avons pas oublié la honte du procès des meurtriers de nos frères et sœurs... Nous voulons la justice, pas pour Berkin, mais parce que Berkin est un symbole pour tous ceux qui cherchent l’égalité et la liberté sur cette terre. Nous demandons maintenant la justice pour nos dix-sept avocats en prison. Nous voulons la justice. Nous serons ici le 13 décembre et nous serons ici plus tard. »
Mimarla Yapıcı, membre de Taksim Solidarity, a ajouté : « La lutte la plus démocratique des droits, la lutte sociale, la solidarité touristique ne seront jamais associées au terrorisme et les enfants de Gezi ne pourront jamais être considérés comme des terroristes. Nous n'avons pas apporté notre bannière ici, mais ici nous sommes informés par les photos de Berkin que son voyage n'est pas terminé, il est toujours en vie. »
Béatrice Taupin
Dogan Presse Agence