Le vent de la liberté va-t-il souffler pour Nyriye Gͼlmen ?
Lors de la cinquième audience du procès de Nuriye Gülmen et Semih Özakça le 27 novembre à Ankara, la justice turque a ordonné le maintien en détention pour Nuriye. La dix-neuvième Cour pénale d’Ankara va-t-elle confirmer ce verdict lors de la prochaine étape de leur procès le 1er décembre ?
Nuriye Gülmen et Semih Özakça sont en grève de la faim depuis 268 jours. Limogés par décret-lois, ces deux professeurs turcs combattent pour récupérer leurs emplois et mettent leurs vies en danger pour cela. Accusés d’être membres d’une organisation terroriste, ils ont été emprisonnés le 23 mai par le gouvernement turc qui a tenté de mettre fin à leur rébellion. Depuis le début de leur procès qui a débuté le 14 septembre, Semih a pu plaider sa défense et a finalement été libéré sous résidence surveillée lors de la troisième audience. Nuriye quant à elle, n’a jamais été autorisée à comparaître devant le tribunal. Le 26 septembre, elle a été transférée contre sa volonté en soins intensifs à l’hôpital de Numune à Ankara, où elle se trouve toujours actuellement.
Elle a dû attendre le 17 novembre pour pouvoir participer aux audiences par vidéo-conférence. Alors qu’à cette date, le procureur estimait détenir suffisamment de preuves contre les deux enseignants, le 27 novembre, et contre toute attente, il a demandé la remise en liberté sous contrôle judiciaire de Nuriye Gülmen. Il considérait effectivement qu’aucun risque d’évasion n’était à craindre, ni de possibilité d’altération des preuves par l’enseignante. Le tribunal n’a pas semblé partager son avis…
« Les amis, Yüksel, le soleil, le vent me manquent »
Durant son intervention, Nuriye est revenue sur ses conditions de détention à l’hôpital qui accélèrent notablement la détérioration de son état de santé. Elle a indiqué manquer d’air frais puisqu’elle se trouve dans un local situé dans les sous-sols de l’hôpital. Elle a également des difficultés pour dormir la nuit car elle ne peut jamais éteindre la lumière qui se contrôle de l’extérieur de la pièce. Cependant, elle a encore une fois affirmé sa volonté de continuer sa grève de la faim entamée le 9 mars : « Je ne peux pas abandonner la grève de la faim sans une victoire certaine. Après 260 jours de grève de la faim et après avoir résisté à toutes ces attaques, il doit y avoir un résultat. Notre demande est claire et simple : nous voulons récupérer notre travail. »
Alors que beaucoup pensaient que la libération de Nuriye était acquise, la question lui a été posée de savoir ce qui lui avait manqué et ce qu’elle allait faire en sortant. « Les amis, Yüksel, le soleil, le vent me manquent » a-t-elle répondu. Puis elle a ajouté : « les amis, les câlins, les retrouvailles ». Elle a expliqué que son seul souhait était de retrouver les siens et d’être dans la nature, de voir le soleil, de sentir l’air et le vent. De retrouver sa famille et ses amis.
Durant sa plaidoirie, Maître Ümit Büyük, un des avocats de la défense a fait référence au très symbolique mythe de Prométhée : « Prométhée a été puni par Zeus pour avoir volé le feu et l’avoir donné à l’humanité. Nuriye et Semih ont été châtiés par le pouvoir pour avoir fait de même. » (Dans la mythologie grecque, Prométhée dérobe une étincelle du feu sacré de l’Olympe afin de transmettre la connaissance aux hommes. NDLR)
Après avoir rendu son verdict qui allait à l’encontre de la demande du procureur, le magistrat a ensuite immédiatement quitté la salle d’audience. « C’est impossible de comprendre pourquoi ils ont pris une telle décision », s’est indigné Maître Ömer Faruk EminaÄŸaoÄŸlu, un avocat des deux enseignants.
À la sortie du tribunal, un militant solidaire de Nuriye et Semih a résumé ainsi la situation : « La cour est piégée. Ils ne peuvent légalement pas garder Nuriye en prison mais ils continuent de suivre les ordres du pouvoir. Ils sont plus que jamais sous pression ».
« Je peux continuer à résister »
Ce matin a lieu la sixième audience du procès des deux professeurs. Et Nuriye Gülmen demeure plus déterminée que jamais : « cette décision démontre l’impuissance de la Cour. Et cela ne me détruit pas. Il est essentiel que la résistance continue. Je suis prête à être libérée et je peux également continuer à résister ici s’il n'y a pas d’évacuation. Mais depuis le début, ils sont impuissants. Ils essaient de nous punir pour un dossier vide. Nous sommes très forts, et nous tirons cette force du peuple. Nous ne sommes pas attachés à des chaînes comme eux. C'est pour ces raisons que nous avons gagné et que nous allons gagner ! ».
Il reste toutefois difficile de prévoir ce que sera la décision de la dix-neuvième Cour pénale d’Ankara. Suite aux purges qui sévissent en Turquie, la justice est devenue tributaire de la politique du gouvernement du président Recep Tayip Erdogan. Et l’on peut s’inquiéter de savoir jusqu’où ira son allégeance au pouvoir de l’AKP. Osera-t-elle malgré tout immoler Nuriye Gülmen sur l’autel de l’intimidation et de l’arbitraire ? Se fera-t-elle par là même le bras armé d’une dérive autoritaire qui n’a pour objectif que l’obtention du pouvoir absolu pour le président Erdogan ? Il est évident que la décision du tribunal apportera des éléments de réponses sans équivoque à ces questions.
Béatrice Taupin
Dogan Presse Agence