Au Luxembourg, l’affaire des services secrets empoisonne le premier ministre Bettel

L’affaire qui a mis un terme au règne de l’ex-premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker signera-t-elle la fin de son successeur, Xavier Bettel ? Le dossier concernant le Service de renseignement de l’Etat luxembourgeois (SREL) connaît, en tout cas, un étonnant rebondissement. En 2013, il avait précipité la fin des 18 années de pouvoir incontesté de M. Juncker : le leader chrétien-démocrate avait préféré quitter son poste avant d’être victime d’un vote de défiance, née de sa mauvaise gestion des services secrets.

La justice enquête toujours sur cet épisode et, singulièrement, le rôle de Xavier Bettel, alors jeune dirigeant du Parti démocratique (libéral), qui était, en 2012, vice-président de la commission parlementaire chargée de se pencher sur le fonctionnement du SREL. Le quotidien conservateur Luxemburger Wort a révélé mardi 12 avril que M. Bettel, devenu depuis chef du gouvernement, avait été entendu en octobre dernier par un juge d’instruction. Auditionné en tant que témoin, le chef de la coalition libérale-socialiste-écologiste au pouvoir était invité à s’expliquer sur l’entrevue qu’il a eue, à l’époque, avec un membre des services de renseignement, André Kemmer.

Au cours d’une discussion à son domicile, M. Bettel – alors chef de file de l’opposition − aurait déclaré à M. Kemmer que le pays ne « pouvait plus continuer » avec un premier ministre comme M. Juncker. M. Kemmer dit, lui, avoir voulu consulter le vice-président de la commission sur ce qu’il pourrait révéler ou non devant les députés.

L’agent du SREL a un pedigree douteux : il a été mis en cause pour avoir livré à son supérieur, Marco Mille, un bracelet-montre qui lui avait permis d’enregistrer un entretien avec M. Juncker à l’insu de ce dernier. M. Kemmer a assisté à cette conversation qui allait devenir un élément à charge contre le premier ministre, manifestement peu préoccupé par le contrôle qu’il était censé exercer sur la sûreté nationale. Il allait d’ailleurs avouer au cours de cette entrevue que le renseignement n’était pas « sa priorité ».
« Transparence totale » exigée par l’opposition

M. Bettel a-t-il flairé l’occasion de faire tomber son rival, avec l’aide d’un personnage ambigu ? Il explique aujourd’hui que s’il a démissionné de son poste de vice-président de la commission d’enquête c’est parce qu’il avait eu, après coup, l’impression de s’être fait manipuler. Il n’a d’ailleurs, souligne-t-il, pas participé à l’élaboration du rapport final.

Problème : il n’a, en réalité, quitté ses fonctions que le 9 avril, alors que M. Kemmer avait été auditionné le 19 février. Dans une deuxième réaction, M. Bettel a confessé, mardi, avoir donc commis une erreur mais il plaide toujours la bonne foi.

Sera-ce suffisant pour éviter une crise politique ? Les partenaires du premier ministre libéral font profil bas et l’assurent, à ce stade, de leur soutien. Le parti chrétien social − la formation de M. Juncker − exige quant à lui « une transparence totale » et assure que si les reproches adressés à M. Bettel s’avèrent finalement fondés, sa démission sera exigée. Le parti évoque une « instrumentalisation » de la commission qui avait obtenu la tête de M. Juncker.

Le SREL, un petit service de 60 agents au total était en tout cas dans la tourmente en 2012-2013. Des questions se posaient à la fois sur des attentats non élucidés − attribués à un réseau d’extrême droite − qui avaient agité le Luxembourg dans les années 1980 et des révélations prétendument faites à M. Juncker quant aux relations très étroites entre le chef de l’Etat, le grand-duc Henri, et les services secrets britanniques. Des propos qui auraient suscité une violente dispute entre le premier ministre et le patron de la sûreté… Une « police parallèle » s’était aussi apparemment constituée au sein du SREL pour enquêter sur les mœurs d’une série de personnalités. « Est-on responsable de quelque chose qu’on ne savait pas ? » interrogeait à l’époque M. Juncker.

Les électeurs n’allaient, en tout cas, pas le punir : son parti gagnait les élections, mais la coalition de ses adversaires envoyait le CSV dans l’opposition. Et l’ex-premier ministre vers le fauteuil de président de la Commission européenne.

Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, Correspondant pour le Monde)


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