Hiroshima. Les survivants de la bombe A luttent contre l'oubli

Au Japon, 73 ans après le largage des deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, les derniers hibakushas s'éteignent. Ils craignent que le devoir de mémoire ne disparaisse avec eux.

Lorsque Setsuo Uchino entre dans la pièce, il pose son chapeau sur la table et brandit la photographie d'une famille de cinq enfants : « Voici mes parents, mes frères, ma soeur. Je suis le dernier survivant. »

Setsuo Uchino a un an et neuf mois lorsque la bombe atomique larguée par les Américains tombe sur Nagasaki, ce 9 août 1945. Sa mère l'a laissé dans un abri avant de partir acheter du sel. Après l'explosion, elle tombe au sol et comprend que « ses cheveux et ses vêtements ont brûlé. Les morceaux de ses lunettes sont incrustés dans sa peau ». Elle court, nue, jusqu'à la maison familiale et la découvre détruite. Mais « elle retrouve mon frère et ma soeur en vie : ils s'étaient cachés sous les tatamis ».

« Après la bombe, les maladies »
« Sur le chemin du refuge où je me trouvais, ils vont croiser des corps calcinés partout », des gens qui réclament de l'eau. « Mais ma mère ne pouvait rien faire, alors elle continuait à avancer, en s'excusant à chaque pas », raconte Setsuo Uchino.

Quand elle arrive à l'abri, il n'y a déjà plus de place pour accueillir tout le monde. « Alors nous sommes partis, mais il n'y avait plus rien. Ni arbres ni maisons. Elle s'est dit que nous allions mourir de soif et de faim. » Le père de Setsuo mettra une semaine à les retrouver, avant qu'ils ne gagnent ensemble Kagoshima, au sud de l'île de Kyushu. Ils rentreront à Nagasaki, « la ville natale de papa », quelques années plus tard, avec deux fils supplémentaires.

Le récit de ce jour tragique, Setsuo Uchino l'entendra par miettes, à compter de sa dixième année. Trop petit au moment des faits, il n'a pas de souvenirs propres et sa mère, « traumatisée, a longtemps refusé d'en parler ».

Les années ont passé. Sa fratrie et ses parents sont décédés: tous de maladies liées à la bombe. « J'ai eu des soucis aussi... Un cancer. Mais aujourd'hui, je me porte bien alors je raconte notre histoire encore et encore. Pour ne pas oublier. » Il ajoute dans un sourire: « J'ai deux filles et deux petites-filles. »

Sous la chaleur étouffante de l'été, la ville portuaire de Nagasaki s'efforce de nourrir le travail de mémoire en offrant des espaces de paroles à ses hibakushas. Un musée a été dressé sur le terrain de l'ancienne école primaire de Shiroyama, soufflée par la bombe. 1 400 des 1 500 élèves avaient été tués.

Les plaies restent vives. Le maire, Tomohisa Taue, fervent militant de la non-prolifération de l'arme nucléaire, avoue ne pas comprendre la position de son pays sur la question. « Il est incompréhensible que le Japon n'ait pas signé le traité d'interdiction des armes nucléaires adopté par l'Onu l'été dernier, s'indigne-t-il. En tant que seul pays au monde à avoir été victime de la bombe, notre gouvernement devrait être plus engagé sur la question. »

La mémoire s'efface
À Hiroshima, Kosei Mito est aussi en colère. Le septuagénaire est un Tainai hibakusha. Ainsi sont nommés ceux qui ont survécu à la bombe lorsqu'ils étaient dans le ventre de leur mère au moment de l'explosion.

Comme chaque matin depuis douze ans, Kosei Mito prend son vélo, trimballant de drôles de panneaux confectionnés par ses soins. « On explique mal aux gens l'atrocité de cet événement. Ici, dans le parc de la Paix, 4 400 personnes sont mortes en un instant : à l'époque, c'était le quartier le plus animé de la ville... Ce n'est pas un détail et pourtant il n'y a aucune indication. Alors je complète. »

« Le Premier ministre, Shinzo Abe, veut se tourner vers le futur, c'est bien, souffle Kosei Mito. Mais il s'agit d'apprendre du passé pour en tirer des leçons. Ne pas reproduire les mêmes erreurs. » Lui se sent « investi d'une mission » et raconte inlassablement ce qui s'est passé le 6août 1945 à Hiroshima.

Bientôt les derniers hibakushas, comme lui et sa mère centenaire, ne seront plus là pour témoigner. « Au Japon, les manuels scolaires ne détaillent plus suffisamment ce qui s'est passé ce jour-là : les dates sont données et puis c'est tout, se désole Kosei Mito. Les voyages scolaires diminuent et nous ne serons plus là pour sillonner l'archipel et rencontrer les gens. J'ai peur que les jeunes Japonais ne soient plus éduqués à l'histoire de cette tragédie dans le futur. »


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