Conférence-Débat Palestine avec Julien Salingue
Docteur en Sciences Politiques, spécialiste du Moyen-Orient et particulièrement de la Palestine, le jeune chercheur Julien SALINGUE a doublé son expérience vécue sur le terrain d’un art de la pédagogie peu commun. Le public réuni à Romans le 29 mars pourra désormais en témoigner.
La Palestine actuelle a une histoire. Elle a aussi des perspectives. Mais rien ne peut se comprendre hors l’imbrication avec ce qui se passe dans le contexte régional.
Toute la Palestine est occupée ! Aucune zone n’est totalement libérée. C’est contre cet état de fait que se soulèvent régulièrement des palestiniens, jusqu’à de très jeunes gens (13 à 15 ans) dans une démarche ne se revendiquant d’aucune organisation politique organisée. Ils ne sont que la partie visible de l’iceberg, ils traduisent le ras-le-bol d’une génération n’ayant connu ni « l’autonomie », ni la période « dialogues de paix ». Ils se révoltent contre la paralysie. Sachons que 80% des jeunes vivent sous le seuil de pauvreté. A Jérusalem, 100 000 jeunes savent leur maison sous menace de démolition sous le prétexte (israélien) qu’elles sont illégales… Israël passe à l’acte tous les jours, des colons s’installant dans les quartiers palestiniens, aggravant les tensions. Le pays est une cocotte-minute. Tous les rapports de diplomates européens en poste à Jérusalem disent que cela va exploser !
On serait toujours – en théorie – dans le « processus de paix » mais l’impasse diplomatique est de plus en plus palpable. Les jeunes n’ont pas connu ces illusions, ne sont pas attachés aux structures palestiniennes, n’ont pas connu Oslo ! Cependant… là-bas, en Palestine, ce n’est pas la guerre : les gens essaient de vivre, d’étudier, de travailler, ils ont des projets de vie. La Lutte ? La Résistance ? Non, d’abord leurs projets de vie. Or, ils ne peuvent les réaliser sous occupation. Ils n’ont pas de crédits, ne peuvent décider d’avoir des enfants. De fait, ils n’ont rien à perdre ! Le pays vit la longue agonie du processus de paix et le temps joue pour Israël, pour sa tentative de neutralisation des forces militantes. La situation actuelle convient y compris à bon nombre de Palestiniens dont les « négociateurs », salariés à temps plein pour établir des projets abstraits, hors-sol, quand rien n’avance sur le terrain. Les structures européennes financent ces fonctionnaires d’une structure appelée un jour à être un Etat ! Le « processus de paix » est une industrie, un milliard d’euros arrivant en territoire palestinien. 20 000 ONG en Palestine sont tributaires de financements internationaux. Le contrôle est donc financier, économique, militaire, politique et conduit immanquablement à la fin des structures combatives.
Le début des années 1990 marque un changement d’époque au niveau international. L’administration « civile » d’Israël gouverne militairement l’économie, le logement, le commerce des Palestiniens. On n’y tolère pas plus de 10 personnes rassemblées, non plus que les arts plastiques comportant les couleurs du drapeau palestinien !
En 2000, les deux parties se reconnaissent dans le « processus de paix » conduit par I. Rabin et Y.Arafat. Cinq années de négociations aboutissent à un accord final dont la philosophie générale est faussée : l’évacuation de l’armée d’Israël des territoires occupés est en fait un redéploiement ! On la conditionne au « mérite » de la population occupée. Cette philosophie domine jusqu’à aujourd’hui (« Les torts sont partagés », etc…). L’essentiel est tu : les Palestiniens vivent sous occupation ! Or, leur droit, le droit est soumis à discussion. Ils doivent en faire la preuve !
Depuis 5 à 6 ans, l’armée d’Israël se redéploie. 80% du territoire est en contrôle conjoint Israël-Autorité palestinienne. De petites enclaves palestiniennes continuent d’être grignotées.
En septembre 2000, une deuxième Intifada débouche sur un entre-deux bizarre où on ne voit ni soulèvement massif ni amélioration. Or, le statu-quo n’existe pas ! La philosophie générale d’Israël est d’aller vers une réorganisation de l’occupation en créant des structures de co-gestion (lire E. Saïd). Associées à leur propre oppression, les structures de l’Autorité Palestinienne sont totalement intégrées dans les structures de co-gestion ! Il n’y a pas de frontières. Israël peut ainsi tout contrôler. Les Palestiniens n’ont pas leur propre monnaie or la vie est très chère en Palestine. C’est l’Union Européenne qui finance l’Autorité Palestinienne et cesse d’ailleurs de le faire dès que l’A.P. rompt le calme artificiel de cette situation fausse. Ainsi, quand le Hamas gagne des élections, l’U.E. coupe la bourse ! Cette hyper focalisation de l’Autorité Palestinienne à « rester dans les clous d’Oslo », à faire la preuve « qu’on mérite notre Etat » transforme peu à peu un Mouvement de Libération Nationale en petit appareil d’Etat qui normalise la situation d’occupation, met sous dépendance totale son économie.
140 000 fonctionnaires font vivre 40% de la population palestinienne. Certains sont formés pour les douanes alors même que le pays n’a pas de frontières et à eux sont accordés des crédits. En bref, on achète les Palestiniens ! (Nul doute que le sens de l’humour doit prospérer chez ce peuple…) La corruption a elle aussi un terreau propice sur ce terrain de crise durable, crise économique, idéologique et politique. Les jeunes passent outre. Ils font autre chose, autrement : mouvement B.D.S., luttes juridiques au travers du Droit International.
Une nouvelle période s’ouvre. L’attaque au couteau dure encore (150 blessés par jour durant 5 mois). Ces jeunes veulent sortir de la paralysie. L’A.P. n’est vue que comme l’administration. La politique palestinienne doit donc être autre chose mais quoi ? Tout doit se discuter, il ne faut plus jouer les règles du jeu de dupes, se donner des moyens de lutte, un programme d’actions, passer du « malgré l’occupation » à « contre l’occupation », ne plus seulement compter avec la solidarité caritative des ONG, dénoncer la mauvaise foi des Etats occidentaux… Alors seulement, les principes universels de la Déclaration des Droits de l’Homme ne seront plus lettres mortes en Palestine.
Evelyne Lafuma