La littérature, cette paire de jumelles
L’Aventure géographique, Meeting n° 14, textes bilingues
Des auteurs italiens et polonais se de mandent ce que signifie, de nos jours, l’action de se déplacer dans le monde. La question des barrières dressées contre l’étranger n’est pas neuve. « Étranger ? Que signifie ce mot ? » questionait déjà Victor Hugo dans son exil à Guernesey. « Quoi, sur ce rocher j’ai moins de droits que dans ce champ ? » Dans ce court recueil de nouvelles (textes bilingues) d’auteurs italiens et polonais, réunis par Patrick Deville sous le titre l’Aventure géographique, il est affaire de voyages en tous sens. Filip Springer part en quête d’un pays « sans poussière », la Suède, que lui vante son oncle au pantalon blanc. Un homme, en proie à un vagabondage compulsif, obéissant à la tyrannie de ses jambes, « pérégrine contre son gré » (Wojciech Nowicki). À contre-courant, J. A. Gonzalez Sainz évoque celui qui décide de « n’entreprendre aucun voyage ». Pour lui, le vrai voyage consiste à « éteindre les écrans, débrancher les tablettes et se perdre dans l’inimaginable géographie de la tranquillité ». Olga Tokarczuk s’interroge sur le touriste occidental, qui « ne considère pas le monde comme tout à fait réel » et s’avance prudemment dans un ailleurs balisé par des guides répertoriant les sites « à voir », exige de l’exotisme « mais pas trop », et se rend en moins de deux à l’autre bout du monde, globe-trotteur en charentaises, à l’opposé de ceux qui jadis parcouraient « la terre kilomètre par kilomètre ». Olga Tokarczuk, qui avoue avoir perdu le goût du voyage, soulève un problème d’éthique : « Ai-je le droit de voyager ? Alors que des gens sont bloqués aux frontières pour être envoyés dans des camps pour migrants. » D’autres textes, brefs, portent le fer dans la plaie du tragique déséquilibre souligné par Patrick Deville : « Comment vivons-nous nos si faciles allers-retours partout sur la planète, quand l’aller simple est interdit à tant d’autres ?»
Muriel Steinmetz