Au tribunal de Bobigny, le procès du Flash-Ball

Trois policiers comparaissent, lundi, pour violences volontaires lors d’une intervention au Flash-Ball. Parmi les personnes blessées, l’une d’elles avait perdu son œil droit.

Trois policiers devaient comparaître à partir de lundi 21 novembre devant le tribunal correctionnel de Bobigny pour des blessures infligées à six personnes par des tirs de Flash-Ball. Les faits remontent à la soirée du 8 juillet 2009. Ils se sont déroulés à Montreuil (Seine-Saint-Denis), dans le cadre d’un rassemblement devant un squat évacué le matin par les forces de l’ordre ; et ils ont notamment entraîné la perte définitive d’un œil pour Joachim Gatti, 41 ans aujourd’hui.

Ce dossier a une forte portée symbolique. Dans le cadre de blessures imputées à des lanceurs de balles de défense, des armes dites « de force intermédiaire », « il est souvent compliqué de trouver qui est le tireur et donc d’obtenir un procès », rappelle le Collectif 8-juillet, qui regroupe des personnes présentes à Montreuil ce jour-là et qui mobilise l’opinion publique sur ce type de blessures.

Il existe deux sortes de lanceurs de balles de défense : le Flash-Ball et le LBD 40. Ces armes sont au cœur d’un débat ouvert depuis plusieurs années sur leur niveau de dangerosité.

L’ONG française de défense des droits de l’homme Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) a demandé en mars leur interdiction dans un rapport intitulé « L’ordre et la force ». Elle considère notamment que leur utilisation s’est banalisée depuis leur introduction, en 1995.

D’après le bilan annuel de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), le LBD 40 a été utilisé 1 025 fois en 2015, et le Flash-Ball 509 fois. Un usage en augmentation. L’IGPN avait préconisé en 2015 le retrait du Flash-Ball, jugé insuffisamment précis, au profit du LBD. Une mesure qui n’a pas encore abouti.

« Dommages corporels à six victimes »

A Montreuil, le 8 juillet 2009, ce sont des Flash-Ball qui avaient été employés. L’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel permet de resituer les événements dans leur contexte et de comprendre pourquoi la juge d’instruction a estimé que la légitime défense ne pouvait pas être retenue et pourquoi elle a choisi de poursuivre les policiers des faits de violences volontaires.

Ce jour-là, à l’aube, la police évacue une clinique désaffectée de Montreuil, occupée par quinze personnes. Le soir, alors que sept policiers se trouvent en surveillance, une cinquantaine de personnes, réunies en protestation contre l’expulsion, se rapprochent du bâtiment.

Le lieutenant chargé du dispositif ordonne aux effectifs « de s’équiper de leurs casques et de leurs boucliers », retrace l’ordonnance. Vingt et un policiers arrivent aussi en renfort, issus notamment de brigades anticriminalité (BAC), afin de repousser le groupe.

Il est 22 h 22 et, en l’espace de treize minutes, la situation bascule. « Les forces de police ont tiré à six reprises avec des armes de type Flash-Ball, occasionnant pour chacun de ces tirs des dommages corporels à six victimes », retrace l’ordonnance.

« En voyant les policiers arriver et s’équiper, les gens ont de suite commencé à reculer, se souviennent des membres du Collectif 8-juillet. Il y a eu une mini-charge pour en arrêter quelqu’un et, là, des gens se sont arrêtés un instant et se sont retournés. Un policier a tiré deux fois et un autre une fois. Il y a eu trois blessés. »

C’est d’abord Patrice L., de la BAC de Montreuil, qui tire et blesse un homme au niveau du front. Le policier Mickaël G., de l’unité mobile de sécurité de Seine-Saint-Denis, tire également et blesse un autre homme, à la clavicule droite. Au même moment, Patrice L. tire une seconde fois et atteint Joachim Gatti en plein visage. Plus loin, Mickaël G. fait à nouveau usage du Flash-Ball et atteint encore un homme au bras gauche. Un troisième policier, Julien V., de la BAC de Rosny-sous-Bois, va ensuite blesser deux personnes, un homme au poignet gauche et une femme à la jambe droite, alors qu’elle courait. Ce sont ces trois policiers qui sont poursuivis.

Pas de légitime défense

Pour justifier l’emploi de la force, le lieutenant Philippe B. assure qu’une « pluie de projectiles » s’est abattue sur ses effectifs. Les policiers auditionnés parlent aussi de « nombreux jets de bouteilles de bière en verre » ou de « cannettes ».

A contrario, la juge d’instruction souligne que, d’après « l’enquête de voisinage (…), il n’y avait pas eu de jets de projectiles, (…) l’ambiance était “bon enfant” ». Certains voisins ont vu la foule reculer ou fuir. La juge considère donc que les policiers n’étaient pas exposés à un « danger actuel ou imminent » et que, même en cas de légitime défense, leur réaction n’a pas été proportionnée. Le policier renvoyé devant le tribunal pour « violence suivie de mutilation ou infirmité permanente » sur Joachim Gatti a ainsi tiré à deux reprises, de nuit, sans visée, en direction d’un groupe compact de personnes.

D’autres contradictions sont apparues au cours de l’instruction. Le policier Patrice L. assure par exemple avoir tiré après sommation. Au contraire, les deux hommes qu’il a touchés témoignent que « les tirs étaient intervenus très vite, sans aucune sommation ou injonction verbale ». De même, Patrice L. dit ne pas avoir vu qu’il avait atteint Joachim Gatti au visage, alors que plusieurs voisins témoins de la scène considèrent que « les policiers ne pouvaient pas ne pas voir le blessé ».

Au-delà de ces éléments, « les débats vont tourner autour de l’usage d’une arme notoirement imprécise dans son utilisation et autour de la problématique de l’encadrement des fonctionnaires », croit Me Frédéric Gabet, avocat d’un des policiers.

L’instruction a permis d’établir que la hiérarchie n’avait procédé à aucun briefing en amont de l’intervention. Dans son audition, le commissaire Thierry S., chef de la circonscription, rappelle que « le dispositif policier mis en place constituait un service d’ordre dans le cadre duquel les fonctionnaires n’étaient pas habilités à faire usage de leur Flash-Ball ». Mais « ni lui-même ni son officier, le lieutenant B., n’avaient pensé à rappeler cette règle aux policiers impliqués ».

Les policiers ont expliqué au cours de leurs auditions leur faible préparation. Patrice L., habilité depuis 2006 au Flash-Ball, « après un stage de formation de six heures », n’avait, depuis, « suivi aucune formation complémentaire ni entraînement ». Pas plus que Mickaël G., habilité depuis 2002, ou que Julien V., depuis 2005.

Par Julia Pascual


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