Amende forfaitaire pour possession de produits....

Amende forfaitaire pour possession de produits stupéfiants : comment ça marche ? Quelle efficacité ?

 Avec la promesse d'une procédure simplifiée sur le papier, l'amende forfaitaire pour détention de produits stupéfiants deviendra-t-elle un nouvel outil du quotidien pour les fonctionnaires ou est-ce une simple mesure d'«affichage» ?

En conséquence d'une annonce de Jean Castex le 25 juillet lors d'un déplacement à Nice, la possession de cannabis ou de cocaïne sera, dès le mois de septembre, passible d'une amende forfaitaire – sans passage par la case garde à vue – et dont le prévenu pourra s'acquitter dans certaines conditions très strictes.

Une amende forfaitaire aux conditions strictes

Si la mesure concerne en théorie toutes les drogues, elle vise en priorité les usagers de cannabis et de cocaïne. Celui-ci ne devra pas se trouver en possession de plus de 10 grammes de cocaïne ou 100 grammes de cannabis, même si, selon les informations du Parisienь les procureurs auraient eu quelques latitudes sur ces limites durant les phases de test à Reims, Rennes, Lille et Créteil pour fixer les plafonds des doses passibles d'une simple amende.

Par ailleurs, la sécurité des fonctionnaires constatant l'infraction ne doit pas être menacée au moment de l'interpellation et la possession ne doit pas être connectée à une autre infraction : outrage, ivresse ou rébellion. Précision, la verbalisation est établie sur les lieux de la flagrance.

L'usager doit également reconnaître les faits et accepter que le produit soit saisi puis détruit. L'auteur du délit ne doit pas non plus faire l'objet de plus de trois antécédents judiciaires en lien avec l'usage de stupéfiants.

L'amende forfaitaire – dont le projet a été conçu à l'époque du passage de Gérard Collomb à Beauvau – s'élève à 200 euros mais elle est minorée à 150 euros si elle est payée dans les 15 jours. Les retards de paiement, eux, font monter la note, jusqu'à 450 euros de majoration, puis, en l'absence de paiement, l'usager verbalisé s'expose à un jugement avec, à la clef, un an de prison, 3 750 euros d'amende et une inscription au casier judiciaire.

Pour un ancien des stups, c'est une mesure d'«affichage»

Interrogé par RT France, Jean-Pierre Colombies, ancien policier entré à la brigade des stups en 1985, a réagi en dénonçant une mesure d'«affichage». Il confie douter très fortement de l'efficacité du dispositif contre le trafic de stupéfiants sur le territoire national : «Il s'agit tout simplement d'un constat d'échec à tous les niveaux parce qu'on va pénaliser ceux qui sont à portée de main, c'est-à-dire les consommateurs, sans aller taper le cœur du trafic, contre lequel aucun gouvernement n'a vraiment fait ce qu'il fallait. On ne s'attaque qu'à la partie visible de l'iceberg, au lieu d'avoir le courage et la capacité de lutter contre le trafic, mais la prohibition n'a jamais empêché la consommation. C'est une victoire à la Pyrrhus, mais le gros trafiquant, on ne lui fait rien finalement. Cette amende forfaitaire pourrait même récolter l'image d'un racket organisé par l'Etat qui va se faire du fric sur le dos des "shiteux".»

Présenter la taxation du consommateur comme un outil de lutte contre le trafic est un mensonge

Et de se souvenir : «Quand je travaillais à Marseille, nous savions très bien quelles étaient les familles qui tenaient le trafic dans les cités sensibles comme la Castellane et c'était pareil en petite couronne parisienne, en Ile-de-France. Les interlocuteurs sont toujours les mêmes, les chefs de bande sont connus, on n'habite pas sur la planète Mars, non plus, on sait qui fait quoi.»

Sans une lutte très déterminée contre le trafic des produits stupéfiants, «avec de vrais moyens accordés aux services d'investigation, de l'argent, du temps, des forces à déployer», Jean-Pierre Colombies ne voit qu'une issue possible qui a, selon lui, fonctionné dans le passé : «On n'a constaté la baisse du trafic de l'héroïne que dans les années 1990 avec la mise en place des programmes de substitution. La peur du virus du sida a sûrement joué également, mais c'était un effet conjugué. Le coup d'arrêt n'est arrivé qu'avec l'apparition du Subutex [produit de substitution de l'héroïne].»

L'ancien commandant de police analyse, visiblement dépité : «L'évidence même montre qu'on ne cherche pas vraiment à s'attaquer au trafic. A qui appartiennent les terres où on cultive le cannabis venu du Maroc ? Si le gouvernement veut casser ce marché qu'il commence par se poser cette question. Il pourrait aussi se demander à combien de personnes profitent cette économie parallèle sur le territoire national, toute cette circulation de capitaux en liquidités... Et Jean Castex vient parler de proximité ? Mais ils pourront remettre de la proximité lorsqu'il y aura suffisamment de flics pour aller dans les quartiers, sinon il n'y a qu'un seul mot qui s'impose et c'est "bidon". En attendant, présenter la taxation du consommateur comme un outil de lutte contre le trafic est un mensonge. Ils font de l'affichage pour se donner bonne conscience.»

Quand un ancien sarkozyste évoque la «proximité»...

Selon le journal Le Monde, lors de son allocution à Nice le 25 juin, le Premier ministre a effectivement insisté sur le renforcement de l’action de «proximité» et annoncé le lancement d’une expérimentation dans la ville de l'élu Les Républicains Christian Estrosi de «l’extension des compétences de la police municipale [...] dans un cadre qui sera fixé par les ministres» de l'Intérieur et de la Justice.

«La sécurité, c’est aussi et d’abord la proximité» a encore souligné cet ancien secrétaire général adjoint du président Sarkozy. Pour mémoire, l'ancien président de la République avait justement abrogé la fameuse police de proximité en 2003 lorsqu'il était ministre de l'Intérieur.

La sécurité, c’est aussi et d’abord la proximité

Jean Castex a également assuré que cette nouvelle amende devrait permettre «aux forces de l'ordre de verbaliser plus simplement l'auteur d'un délit et pour l'autorité judiciaire d'appliquer une sanction sans délai.»

Cependant, interrogé par Le Parisien, Frédéric Gallet, délégué du syndicat Alliance à Rennes – une des villes tests du mois de juin – a pour sa part déploré «un cadre d'emploi très limité» et dit craindre une «banalisation du produit stupéfiant». Le syndicaliste a d'ailleurs fait savoir au quotidien francilien que depuis la mise en place du dispositif le 16 juin, très peu d'amendes forfaitaires de ce type avaient en réalité été dressées.

Selon Le Parisien, on dénombre 900 000 usagers du cannabis en France en 2020. Manne pour l'Etat ? Dispositif inapplicable ? Mesure d'affichage ? L'automne apportera peut-être son lot de réponse après les contrôles qui ne manqueront pas de survenir au cours de l'été.

Antoine Boitel

Article publier le 31 juillet 2020 sur RT France


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